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malgré des éclairs de bon sens, ne pouvait rester fidèle à une politique prudente et modeste. Ne voulant ni renoncer à l’alliance anglaise, ni s’abstenir de toute espérance d’agrandissement territorial, il essaya de mêler les avantages des deux systèmes, et ne réussit qu’à s’enchevêtrer dans ses propres intrigues. Il fit des guerres qui nous coûtaient beaucoup et qui ne servaient qu’aux autres ; il apporta dans la politique des préoccupations intéressées qui nuisaient à sa dignité et ruinaient son autorité morale. Tantôt faisant l’Italie de ses propres mains, tantôt préparant la perte de l’Autriche et l’unité allemande, tantôt entreprenant cette folle guerre du Mexique qui nous donnait une ennemie de plus au-delà des mers, tantôt déclarant la guerre à l’Europe entière par de vains discours contre les traités de 1815, il n’a réussi qu’à se brouiller avec ses alliés naturels et à se créer partout des adversaires nouveaux. Peu à peu il a éloigné de lui la prudente Angleterre, il l’a habituée à rester étrangère à ses entreprises, à le considérer comme un de ces amis incommodes et dangereux aux affaires desquels on n’aime pas à se mêler, et qu’on se garde bien de secourir quand ils se sont par leur propre faute engagés dans un mauvais pas.

Pour l’Angleterre, on ne saurait l’accuser d’avoir péché par excès d’imagination. Elle n’a même pas su prévoir les dangers de la politique d’abandon et de laisser-faire qu’elle a pratiquée dans tout ce qui ne touchait pas immédiatement à ses intérêts privés. Tandis que la France intervenait ou intriguait de plus en plus, l’Angleterre se laissait aller à ses penchans mercantiles, se désintéressait graduellement de tout ce qui se passait en Europe ; elle semblait même ne se défier que de la France. Si la France recevait le présent du comté de Nice et de la Savoie en reconnaissance des services militaires et pécuniaires qu’elle avait rendus à l’Italie, l’Angleterre se montrait tout alarmée de cet accroissement de territoire. Une compagnie française obtenait-elle du gouvernement égyptien la concession des travaux de l’isthme de Suez, l’Angleterre y voyait une atteinte à sa puissance coloniale, et accumulait tous les obstacles pour faire échouer l’entreprise. En revanche, elle abandonnait le protectorat des îles ioniennes ; elle abandonnait le Danemark, qui ne recevait de Londres comme de Paris que de vains témoignages de condoléance. Quant à l’alliance française, ce n’était plus une alliance politique, c’était une simple union commerciale. L’Angleterre ne semblait plus y chercher que les avantages pécuniaires garantis à son industrie par nos traités de commerce.

On le voit, l’Angleterre et la France suivaient depuis longtemps des voies différentes. La France se reposait encore aveuglément sur le souvenir des services qu’elle avait rendus à son alliée, quand