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déjà l’Angleterre avait oublié jusqu’à l’intérêt qu’elle avait à les reconnaître. On parlait encore beaucoup de l’alliance ; c’était une de ces locutions consacrées dont on se sert par habitude, sans savoir au juste ce qu’elles désignent. Le fait est que les liens d’amitié établis entre les deux nations ne se trouvèrent jamais plus lâches qu’au moment même où il importait de les resserrer pour faire face au danger commun.

Aussi, quand le cabinet des Tuileries déclara la guerre, les sympathies de l’Angleterre furent-elles acquises tout d’abord à la Prusse. Le cabinet anglais, ayant essayé inutilement de s’entremettre entre Paris et Berlin, avait été vivement blessé de l’extravagante infatuation du gouvernement impérial. Mécontent de ce côté, il s’était laissé prendre plus aisément aux apparences de modération du gouvernement prussien, et d’un jour à l’autre il était presque devenu l’ennemi de la France. Du moins l’abandonnait-il à son sort, n’ayant plus d’autre préoccupation que de circonscrire la guerre en détournant les autres puissances de nous venir en aide.

Tel fut l’objet véritable de cette fameuse ligue des neutres, formée dès le mois d’août 1870 par les soins de l’Angleterre, entre l’Angleterre elle-même, l’Italie et la Russie, et à laquelle l’Autriche adhéra le 10 septembre suivant. Cette ligue des neutres eût été une excellente chose, si elle avait été parfaitement sincère, et si aucune des puissances contractantes n’y eût apporté d’arrière-pensée. Le rôle des neutres était, suivant l’heureuse expression d’un de nos diplomates, « celui des témoins dans un duel, » veillant à l’observation des règles, et préparant un arbitrage impartial pour empêcher le vainqueur d’égorger son adversaire tombé. En comprenant ainsi les devoirs de la neutralité, l’Angleterre aurait mérité la reconnaissance de l’Europe et la nôtre ; mais de la manière dont elle fut conçue, la ligue des neutres ne devait servir qu’à faire le vide autour de la France et à la livrer sans défense à la rapacité de la Prusse.

Les parties contractantes prirent l’engagement « de ne pas abandonner leur neutralité sans s’être préalablement communiqué leurs idées et sans s’être annoncé mutuellement toute modification que pourrait subir leur politique en ce qui concernait cette neutralité. » Au lendemain de nos premières défaites, une telle clause était évidemment dirigée centre nous, elle mettait les trois grandes puissances neutres sous la direction de la politique anglaise, et frappait par là d’impuissance nos efforts auprès de chacune d’elles. En subordonnant toutes leurs démarches à la nécessité d’un concert préalable, elles renonçaient, pour ainsi dire, à toute intervention opportune. Sous prétexte d’assurer l’union des neutres et de limiter la guerre au territoire des deux nations belligérantes, on