Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Knobelsdorf, pour être plus sûr de son jeu, on avait évité de lui livrer le secret de la pièce. C’était un ami de la France et un partisan de Napoléon. Il fut lui-même complètement dupe de sa mission. Il se croyait appelé à rétablir la paix. « Je suis bien aise de vous voir ici, lui dit Napoléon, j’aime les hommes simples et ronds comme vous ; mais je suis bien mécontent de votre cour. Qu’est-ce que ces chicanes sur la confédération du nord et sur le séjour de mes troupes en Allemagne ? Avant tout, ajouta-t-il, il faut que votre roi désarme, qu’il désarme complètement, que toutes vos troupes rentrent dans leurs quartiers de paix. » Knobelsdorf fui un peu inquiet après cette sortie vigoureuse ; mais, lorsque le lendemain matin il reçut en présent quatre chevaux et une voiture (chose qui n’avait jamais eu lieu que pour l’ambassadeur turc), il se crut de nouveau au pinacle de la faveur. Il écrivit à sa femme qu’elle pouvait être parfaitement tranquille, et qu’on ne pensait pas à la guerre.

Tandis que cette pitoyable comédie se jouait à Paris, elle se répétait à Berlin entre M. de Haugwitz et M. de Laforest. Comme l’opinion publique demandait des réparations, au moins des éclaircissemens, et qu’il fallait bien paraître la satisfaire, le ministre s’adressait à l’envoyé français. Celui-ci avait eu ordre de démentir les récits de Lucchesini, mais ses instructions se bornaient là, et quand on le pressait davantage, il ne répondait pas. Il avait pour cela des raisons puissantes, les mêmes que Knobelsdorf pour se croire en faveur à Paris. Napoléon avait écrit le 2 août à Talleyrand : « Réitérez à Laforest qu’à tout prix je veux être bien avec la Prusse, et laissez-le, s’il le faut, dans la conviction que je ne fais point la paix avec l’Angleterre à cause du Hanovre. » Et le 26 août : « Dites-lui qu’il doit rester tranquille, observer tout en me mandant tout, battre froid ; que, si on lui parle de la confédération du nord, il dira qu’il n’a pas d’instructions. » Cependant Haugwitz commençait à s’effrayer de son propre ouvrage : il se sentait débordé. Il dit à Laforest que tout était perdu, si l’empereur ne se décidait pas à une concession, qu’il était impossible de contenir plus longtemps le peuple, qu’il fallait une satisfaction pour la multitude, par exemple l’éloignement de l’armée française[1]. Laforest se tut. « Ce silence perd tout, » dit Haugwitz. Il y eut une réponse cependant aux cris de la foule qui demandait la guerre, une réponse sanglante, et dans laquelle cette fois la menace ne se dissimulait plus. Il y avait à

  1. Je dis à M. de Werther « qu’il était nécessaire, dans une situation aussi tendue, de tenir compte de l’opinion publique d’une manière toute particulière… Je m’en remettais à son appréciation sur la question de savoir si le véritable expédient ne serait pas une lettre du roi à l’empereur. » — Gramont, p. 126-121.