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Nuremberg un libraire nommé Palm ; il avait vendu un pamphlet de Gentz intitulé le profond Abaissement de l’Allemagne[1]. Napoléon en fut averti ; le 5 août il écrivit à Berthier : « Mon cousin, j’imagine que vous avez fait arrêter les libraires d’Augsbourg : et de Nuremberg. Mon intention est qu’ils soient traduits devant une commission militaire et fusillés dans les vingt-quatre heures. Vous mettrez les coupables au milieu d’une division et vous nommerez sept colonels pour les juger… Vous ferez répandre la sentence dans toute l’Allemagne. » Palm fut enlevé sur le territoire bavarois, jugé, condamné, et fusillé le 26 août 1806.

La guerre était devenue inévitable, il s’agissait de savoir qui la déclarerait. Napoléon eut le talent de la faire déclarer par la Prusse[2]. Le 21 septembre, le roi Frédéric-Guillaume partit pour Magdebourg. Les princes, la reine surtout, belle et chevaleresque, parée des plus nobles séductions que puisse envier une souveraine, soutenaient l’enthousiasme de l’armée et du peuple. Les troupes étaient acclamées au passage ; partout éclataient les chants patriotiques. Le spectacle contagieux de ces entraînemens acheva d’égarer le gouvernement. Il perdit toute prudence, et se précipita en avant : il fallait prévenir les Français. Il ne faut pas oublier que l’armée de Napoléon était prête et massée à la frontière, qu’elle était en campagne depuis un an, reposée de ses victoires récentes et dévorée d’ardeur. En Prusse au contraire, tout était à préparer ; les levées étaient incomplètes et les approvisionnemens inachevés. Le commandement, la division des corps, le plan de campagne, étaient à décider. On n’y réfléchit pas ; on ne songea pas davantage à prévenir l’Europe, à l’avertir de ce changement de front, à la rassurer sur les intentions à venir, après lui avoir donné le spectacle de volontés aussi chancelantes, de rechutes aussi fréquentes, d’ambitions aussi invétérées. Le roi reçut du tsar une lettre « qui ne laissait rien à désirer. » On se croyait prêt et sûr du succès. Le 1er octobre, le ministre de Prusse à Paris pose l’ultimatum de son gouvernement. Il demande que les troupes françaises repassent le Rhin, qu’il ne

  1. Abaissement bien profond en effet. On peut s’en convaincre en lisant les adresses serviles envoyées à Napoléon et publiées récemment dans les Preussische Jahrbücher. Les princes et les municipalités rivalisèrent de platitudes. Il y eut cependant un moment d’abaissement plus grand encore : ce fut Erfurt, en 1809, le parterre de rois et de courtisans de tout ordre (il y avait deux hommes de génie) devant lequel se donna la fameuse accolade sur un vers de Voltaire.
  2. La chancellerie fédérale notifia aux agens prussiens à l’étranger la rupture des négociations, « En un instant, l’Europe apprend que l’ambassadeur de France s’est vu refuser l’accès du souverain… C’est la guerre… Le calcul était donc infaillible, et, si la France hésitait à entrer en campagne, le chancelier avait trouvé le moyen de l’y contraindre. » — Gramont, p. 228-220,