Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
547
LES ÉCOLES D’APPRENTIS.

passages de son mémoire, et qu’il a reproché à des établissemens du même genre, publics ou privés, c’est de former des caporaux au lieu de soldats, des cadres et pas d’armée ; 150 élèves, c’est un mince appoint, et où les prendre, comment les choisir ? Le privilége fera des envieux, et le choix des mécontens. Puis à côté de cet écueil il en est un autre, qui dans une certaine mesure s’y confond, et sur lequel, puisque l’occasion s’en présente, il est bon d’insister.

Les institutions créées dans le cours de ce siècle, surtout en matière d’enseignement, tendent presque toutes à dépasser leur objet, et, comme on dit, à tomber du côté où elles penchent. Un instant on a pu le craindre pour l’École polytechnique, qui au lieu d’ingénieurs et d’artilleurs nous donnait des saint-simoniens et des phalanstériens, même des positivistes. Peut-être l’abus des analyses contribuait-il à ces déviations. Il en a été de même de l’École centrale, que parfois des excès d’algèbre ont troublée dans sa destination, qui est de former des chefs et des directeurs d’usine. Affirmerait-on que les cours du Conservatoire, qui visent surtout à l’instruction des ouvriers, soient toujours maintenus à la portée et au niveau de leurs intelligences ? Enfin n’est-il pas de notoriété que la clientèle des écoles d’arts et métiers d’Aix, de Châlons, d’Angers, s’est graduellement transformée, et qu’elle se porte désormais vers les services publics, état ou compagnies, plutôt que vers les services privés ? Ces exemples donnent lieu de craindre qu’il n’en soit de même d’une école d’apprentis, et qu’après avoir été conçue dans des conditions très simples, modestes même, accessibles à tous, elle ne tourne peu à peu au raffinement, prenne de l’orgueil, et à l’instar de ce qui l’entoure ne dépasse son objet. Cette crainte est d’autant plus fondée que la moindre école a de grandes ambitions là-dessus, et fait montre d’un programme de matières qui ne messiérait pas à une académie. Que ce soient là des perfectionnemens, à la bonne heure ; mais ce sont en même temps des déclassemens, et ils deviennent dangereux dans un temps où personne ne se résigne à rester à sa place.

Ces réserves n’infirment en rien l’idée de M. Gréard, qui lui-même les a faites. Il a vu les côtés faibles de son projet, mais il en a vu en même temps la grandeur. L’opinion publique le soutiendra et fera malgré tout aboutir une réforme qui touche aux besoins les plus vifs et les mieux démontrés de la communauté. Grande tâche en effet qu’un amendement sérieux de l’éducation populaire, la plus saine, la plus fortifiante que, revenue d’une longue léthargie, une nation puisse se proposer !

Louis Reybaud.