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montrer là dans toute son intensité, bien qu’il s’efface ailleurs dans des conditions en apparence favorables ?

Il faut en chercher la cause dans le climat et dans la naturel géologique du terrain. La vallée de la Durance, — celle du Tessin a même orientation, — est ouverte vers le midi et protégée vers le nord par de hautes montagnes. Elle participe donc du climat sec de la Provence, qui n’est guère favorable à la végétation ; partant les terrains escarpés restent souvent nus, ce qui les expose d’autant plus au ravinement des eaux courantes. De plus, les vents qui soufflent de la mer déposent, en remontant les pentes, l’humidité dont ils sont saturés. Il en résulte des pluies rares, mais intenses. Il y tombe, année moyenne, plus d’eau qu’à Paris ; seulement, au lieu de se répartir en un grand nombre de jours de pluie, c’est l’affaire de quelques heures d’orage. On cite des années où il n’y eut que dix-sept jours de pluie ou déneige. On n’y connaît ni les brumes, ni les brouillards qui assombrissent les pays du nord ; le ciel est d’habitude pur et serein, l’air est limpide ; en revanche, les nuages s’en lassent par instant de tous les points de, horizon et fondent à l’improviste en prodigieuses averses.

Quant à la nature du terrain, les vallées des Hautes-Alpes présentent l’aspect d’un sol disloqué dans tous les sens. Est-ce parce que ces montagnes sont l’ouvrage d’un soulèvement récent dont l’âge n’a pas encore consolidé les débris ? Les roches les plus compactes sont brisées, fendillées ; par conséquent, elles résistent mal au frottement des eaux courantes. Le gneiss et le grande, qui seule sont insensibles aux influences atmosphériques, n’apparaissent qu’au sommet. Dans la région moyenne, ce sont des schistes et des calcaires broyés par l’air et le soleil. Ailleurs c’est du gypse qui se dissout presque dans l’eau. Ces terrains n’offrent aucune résistance au fléau qui les bouleverse.

Et pourtant il semble démontré que le versant français, des Alpes n’a pas toujours offert l’aspect désolé qu’on lui voit aujourd’hui. S’il est certains torrents dont l’antiquité n’est pas contestable ; d’autres au contraire ne sont devenus actifs qu’à une époque moderne, quelques-uns même n’ont manifesté leur puissance destructive que depuis un petit nombre d’années. Le sol tendre et mobile des montagnes est par cela même, en dépit de la sécheresse, propre à la culture forestière ; les arbres dont les racines entre-croisées arrêtent la descende des eaux pluviales, font obstacle aux crues subites des ruisseaux. En remontant les petits affluens de la Durance, on aperçoit quelquefois d’anciens torrens devenus inoffensifs. Le bassin de réception, recouvert d’une épaisse forêt ne donne plus naissance qu’à un ruisseau limpide ; le cône de déjection, que la