Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/567

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Néanmoins la loi sur le reboisement des montagnes, réduite à ces proportions modestes, fut encore mal accueillie par les populations pastorales qu’elle avait l’intention de sauvegarder. Les montagnards n’apercevaient que le résultat immédiat, la mise en réserve des communaux, et prétendaient que leurs troupeaux périraient tous en attendant les herbages sous bois qu’on leur promettait dans vingt ans. Habitués aux maigres ressources de la dépaissance et trop pauvres pour s’en passer, ils se voyaient en expectative privés du domaine dont ils avaient toujours joui. Ils avaient en effet quelque raison de s’effrayer, puisqu’on ne leur parlait que de transformer ces pâtures en forêts, et, avec l’exagération à laquelle le paysan qui se voit menacé dans son bien se laisse volontiers aller, ils comparaient les agens forestiers à « des ogres prêts à dévorer les troupeaux et les pâtures. » Il y avait du bien-fondé dans cette opposition. La plantation des friches était le plus souvent inutile, et, si l’on y eût insisté, la mesure eût profité aux communes situées dans les vallées au détriment de celles dont le territoire était sur les hauteurs. L’administration forestière eut la sagesse de le reconnaître. En 1864, elle provoqua le vote d’une nouvelle loi qui substituait le gazonnement au reboisement dans tous les cas où la végétation arborescente était une précaution superflue. L’érosion du sol par les torrens n’a pas été toujours la conséquence d’un déboisement intempestif ; en beaucoup d’endroits, le mal n’a d’autre cause que l’abus de la dépaissance, la destruction des herbages par la dent vorace du mouton et de la chèvre. Dans ce cas, il est inutile de faire venir des arbres ou même des arbustes ; il suffit d’herbages qui raffermissent le terrain, à la condition qu’on ne permette pas aux troupeaux de les tondre jusqu’à la racine. Sur les pentes que les eaux n’ont pas encore entamées, la moindre broussaille, une simple touffe d’herbe, retarde l’écoulement des eaux pluviales, les divise, conserve la fraîcheur du sol au profit de la végétation elle-même, et retient les cailloux prêts à s’ébouler. Le résultat est atteint sans que le paysan soit privé de la vaine pâture, qui est quelquefois son unique gagne-pain.

Ainsi l’œuvre de régénération des montagnes consiste dans le gazonnement des parties encore saines et dans le reboisement des terrains profondément attaqués par le torrent, indépendamment des barrages et autres moyens de défense par lesquels on retarde l’écoulement des eaux. Les forêts constituent ainsi de vastes abris qui, dans la région moyenne, protègent les pâturages, et dans le haut préviennent la formation des avalanches. Le paysan reçoit une double satisfaction, puisqu’on remet en bon état les terres de parcours de ses troupeaux, et qu’on lui promet en même temps à courte