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… au dedans de moi sont les zones, les mers, les cataractes, les plantes, les volcans, les groupes de la Malaisie, de la Polynésie et des grandes îles des Indes occidentales… »


Arrêtons-nous, le livre nous tombe des mains, la limite de l’absurde est dépassée ; nous ne saurions suivre les divagations de l’ivresse ou de la folie. Est-ce bien la même bouche qui jette à l’Irlande tombée ces paroles d’éloquente consolation ?


— « Un mot, vieille mère ! — Relève-toi de la terre glacée où tu t’affaisses, le front entre tes genoux, — ne te voile plus de tes cheveux blancs en désordre, — car, sache-le, celui que tu pleures n’est pas dans ce tombeau, — c’est une illusion : l’héritier, le fils que tu aimes n’est pas vraiment mort ; — le seigneur n’est pas mort, il est ressuscité jeune et vigoureux dans un autre pays. — Tandis que tu pleurais auprès de ta harpe brisée, de ta harpe royale réduite au silence, auprès de cette tombe, — celui que tu pleurais était transporté bien loin, — les vents favorables le poussaient sur la mer, — et maintenant, avec un sang rajeuni dans les veines, — il prospère au sein d’une nouvelle patrie. »


Nous avons essayé d’indiquer par la traduction de quelle façon irrégulière et capricieuse Walt Whitman scande ses prétendus vers ; ce que nous ne saurions rendre, c’est son mépris absolu de la grammaire. L’anglais, qu’il célèbre emphatiquement comme la langue du progrès, de la foi, de la liberté, de la justice, de l’égalité, de l’estime de soi, du sens commun, de la prudence, de la révolution, du courage, et qui, selon lui, exprime presque l’inexprimable, l’anglais devient sous sa plume un jargon barbare souvent incompréhensible. Encore si ses Chants démocratiques ne péchaient que par la forme ; mais le fond est plus détestable encore. L’an 1793 par exemple lui a inspiré un appel à la révolution, douloureux à lire après les derniers événemens, dont il semble avoir été le sombre prophète.


« Je marchais sur le rivage de notre mer orientale, — lorsque j’entendis au-dessus des vagues une petite voix, — je vis le divin enfant qui s’éveillait avec des vagissemens tristes, parmi le fracas du canon, des imprécations, des cris et des palais croulans.

« Le spectacle des ruisseaux de sang ne me fit pas défaillir, — ni celui des charges de cadavres qu’emportaient les tombereaux, — j’assistai sans désespoir aux battues de la mort, — j’entendis sans frémir les fusillades redoublées ; — pâle, silencieux, sévère, que pouvais-je dire contre ces représailles longuement accumulées ? — Aurais-je pu souhaiter que l’humanité fût différente, que les peuples fussent faits de