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que rien ne peut être mieux que ce qui est : si les appétits grossiers jouent un grand rôle, ce doit être la condition nécessaire des choses, et nous devons l’accepter. Pourquoi donc ce qui se voit, ce que nous savons, ce qui est nécessaire, par conséquent juste, ne serait-il pas proclamé dans ses vers ? Appuyé sur de pareils sophismes, il n’y a point d’indécence qui le fasse reculer ; la langue française se refuserait à la traduction de certains morceaux érotiques. M. Walt Whitman n’admettant pas de différence entre l’homme et la femme, ni même entre la laideur et la beauté, ne peut employer le mot d’amour dans le sens ordinaire ; ce mot, il le prononce sans cesse, mais en l’appliquant indistinctement à tous les êtres : l’amour, en dehors d’une fraternité universelle, n’est pour lui que le plaisir physique exprimé avec la crudité qui lui est propre. Aussi est-il pénible de l’entendre parler de la femme considérée autrement que comme mère et citoyenne. Le seul hommage, presque respectueux et très éloquent d’ailleurs, qu’il lui rende dans toute son œuvre, a pour cadre, le croirait-on, la morgue, et il s’agit d’une prostituée. En somme, une prostituée vaut-elle moins qu’une vierge ?


« Bon ou mauvais, peu m’importe, j’aime tout, je ne condamne rien ; — pour moi, les accusés ne sont en aucune façon pires que ceux qu’on n’accuse pas, et en aucune façon pires que moi-même ; — pour moi, tout juge ou juré est aussi criminel que les criminels, et tout homme de bonne réputation également, et le président aussi ! — Omnes ! omnes ! Je suis mauvais autant que bon ; il en est de même pour ma nation, — et je dis qu’au fait le mal n’existe pas ! »


Ailleurs il ajoute :


« Je respecte l’Assyrie, la Chine, la Teutonie et les Hébreux, — j’adopte toutes les théories, tous les mythes, dieux et demi-dieux, — je crois que les vieilles traditions, bibles et généalogies, sont vraies sans exception ; — j’affirme qu’Aujourd’hui et que l’Amérique ne peuvent être meilleurs qu’ils ne sont. »


Une des prétentions de Walt Whitman est non-seulement de représenter un citoyen de l’univers, comme il nous le fait entendre en déclarant qu’il est un vrai Parisien, un habitant de Vienne, de Pétersbourg, de Londres (tant de villes sont énumérées dans son hymne Salut au monde qu’on croirait lire une leçon de géographie ancienne et moderne), mais encore de contenir en lui-même l’univers tout entier.


« Au dedans de moi, la latitude s’élargit, la longitude s’allonge, —