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ministre apprit qu’il avait sous ses ordres l’auteur des Brins d’herbe. On lui accorda depuis un dédommagement. Le président Lincoln faisait grand cas de lui, et en retour il considérait le président comme le caractère politique le plus noble et le plus pur de son temps ; il lui consacra une hymne funèbre dans laquelle éclatent certaines beautés au milieu de ses rapsodies ordinaires.

La guerre a été une source abondante d’inspirations pour Whitman. On lui doit les Roulemens de tambour (Drum taps), palpitans d’émotion, de patriotisme et de cet amour de l’humanité qui mêle des larmes aux joies de la victoire :


« Année 1861, année en armes, année de lutte, — point de rimes gracieuses ni d’amoureuses sentimentalités pour toi, année terrible ! — Tu m’apparais comme un homme fort, debout et droit, vêtu de l’habit bleu, et qui s’avance, le fusil sur l’épaule, — … la figure et les mains hâlées, un couteau à la ceinture. — Je t’ai entendue annoncer ton approche, ta voix sonore retentissait à travers le continent, ta voix mâle, ô année, s’élevait parmi les grandes cités… — relancée mainte fois en longs échos. — Année de détresse, de vertige, d’écrasement, de désespoir !… Je répéterai après toi ce que tu as chanté soudain par la bouche ronde du canon. »


Walt Whitman excelle à décrire l’enthousiasme des recrues, l’embarquement des vieilles troupes qui arrivent de toutes parts, couvertes de poussière, fumant de sueur, les tentes blanches qui s’élèvent dans le camp, les salves d’artillerie au lever de l’aurore, les marches précipitées sur des routes inconnues, les haltes rapides sous le ciel nocturne parsemé d’étoiles éternelles ; il excelle à mettre en opposition le calme immuable de la nature avec les fureurs humaines, à nous faire respirer « le parfum de la guerre. »


« Battez, battez, tambours ! sonnez, trompettes, sonnez ! — par les fenêtres, par les portes faites irruption, comme une horde sans pitié ; — dans l’église solennelle, éparpillez les fidèles ; — dans l’école, interrompez le travail ; ne laissez pas le fiancé en repos, son bonheur ne doit pas être désormais auprès de sa fiancée ; — ne laissez pas le temps au fermier de labourer son champ, ni de recueillir son grain. — Assourdissant et orageux est le tambour, — aigres sont les trompettes !

« Battez, battez, tambours ! sonnez trompettes, sonnez ! — Plus fort que le bruit du trafic dans la cité, — que le grondement des roues sur le pavé. — Des lits sont-ils préparés pour les dormeurs ? — Les dormeurs ne reposeront pas dans ces lits. — Marchands et spéculateurs voudraient-ils continuer leurs affaires aujourd’hui ? — Les causeurs