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Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/617

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plus forte raison n’aurait-elle pu songer à les envoyer jusqu’au fond du Pont-Euxin quand elles lui étaient si nécessaires pour disputer l’entrée des détroits et pour couvrir au besoin l’Eubée et l’Attique. Gylon, avec la petite garnison qu’il commandait dans ce poste fortifié, se sera donc trouvé surpris par les événemens, coupé d’Athènes sans espoir d’être secouru. Ce qu’il avait alors de mieux à faire, n’était-ce pas de remettre ce comptoir et ses défenses aux mains des princes du Bosphore cimmérien, les Spartocides ? De père en fils alliés fidèles d’Athènes, ces princes, auxquels obéissaient les colonies, presque toutes ioniennes d’origine, qui étaient semées sur ces rivages, formaient de ce côté comme l’avant-garde du monde hellénique. Entourés de tribus barbares avides et belliqueuses, ils avaient réussi à se les assujettir ou à se les rattacher par des liens plus ou moins étroits, à soumettre à leur influence presque toute la Crimée et les côtes du continent voisin, de l’embouchure du Borysthène à celle du Tanaïs. Maîtres ainsi de la terre du blé, de ces provinces fertiles qui fournissent aujourd’hui encore à l’Europe une partie de sa nourriture, ils avaient contribué plus que personne, par les avantages qu’ils assuraient sur leur marché aux négocians athéniens, à faire du Pirée pendant un demi-siècle le principal entrepôt du monde grec, celui où l’on venait de toutes parts s’approvisionner de céréales. Athènes avait conclu avec ces souverains de rentables traités de commerce, dont nous aurons occasion de parler à propos du discours de Démosthène sur la loi de Leptine. Comme Athènes commençait à se relever après ses cruels désastres, les Spartocides s’empressèrent de renouer avec elle les bonnes relations d’autrefois et lui témoignèrent même encore plus d’amitié que par le passé. Il ne semble donc pas que Gylon ait manqué à son devoir en leur confiant le dépôt qu’il ne pouvait plus garder : ce serait alors comme récompense d’un service et non d’une trahison qu’il aurait reçu de Satyres ou de son fils Leukon le commandement d’une des places que ces souverains possédaient sur la rive asiatique du détroit. Cette ville, qui s’appelait Kèpoi ou les jardins, était située non loin de Phanagorée.

Quoi qu’il en soit, l’émigré athénien fit là une grande fortune. Dans chacun de ces comptoirs où les indigènes apportaient leurs blés, leurs cuirs et d’autres denrées que des caravanes amenaient de bien loin, le commerce devait donner de très beaux bénéfices tant aux négocians eux-mêmes qu’aux agens qui le surveillaient pour le compte du roi, qui percevaient en son nom sur les marchands des droits de péage et de douane : on sait que de tout temps en Orient, s’il arrive jusqu’au trésor du souverain quelque chose des sommes levées sur le peuple à titre d’impôt, la meilleure part en reste dans les mains de ceux qui sont chargés de les