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un fonds de roulement dont ils employaient le surplus tantôt à des acquisitions de biens-fonds, soit à la ville, soit à la campagne, tantôt et plus souvent en avances faites au commerce par l’intermédiaire des banquiers : c’était surtout le prêt à la grosse aventure qui, par les bénéfices énormes qu’il faisait espérer, attirait les capitaux. Bien placer leur argent, c’était là le principal souci de ces hommes laborieux, économes, sensés et prudens. Beaucoup d’entre eux sans doute, comme le père de notre grand orateur, étaient de bons patriotes. A l’occasion, ils faisaient leur devoir, soit comme hoplites ou soldats de ligne, soit comme cavaliers, soit comme triérarques ou commandans d’une galère qu’ils avaient à équiper et à entretenir à leurs frais pendant toute une année ; mais ils ne recherchaient pas les honneurs et ne prenaient guère la parole sur la place publique. Cela les eût trop détournés de leurs affaires ; d’ailleurs, pour jouer un personnage dans la démocratie, il fallait se donner, trop de mal, crier trop haut, se faire trop d’ennemis. Ces riches bourgeois devaient avoir pour la foule et pour les fonctions qu’elle confère quelque chose de cette méfiance, de cet éloignement qui, raconte-t-on, décident aux États-Unis beaucoup d’hommes bien nés et distingués à rester tout à fait en dehors de la politique active. Contens d’avoir rempli leurs obligations, d’avoir payé de leur bourse et, quand il le fallait, de leur personne, ils laissaient passer devant eux les plus bruyans et les plus pressés.

Par sa mère Kléobule, Démosthène avait du sang étranger dans les veines. Elle était fille d’un certain Gylon, Athénien, qui après la chute de l’empire maritime d’Athènes s’était établi et marié dans le royaume du Bosphore, la Crimée actuelle. Eschine, quand, dans le procès de la couronne, il cherche à déshonorer son adversaire en l’attaquant jusque dans ses ancêtres, prétend que ce Gylon aurait commis une trahison en livrant au roi du Bosphore Nymphœon, petit port situé à quelques milles au sud de Panticapée, et que pour ce crime il aurait été condamné à mort par contumace, à Athènes ; mais on sait quelles libertés prend avec l’histoire, devant un tribunal athénien, la haine d’un ennemi politique, surtout quand il s’agit de faits déjà éloignés et dont on ne songe de part et d’autre ni à fournir ni à réclamer la preuve. Eschine ne dit point quand aurait eu lieu l’événement auquel il veut donner une couleur si fâcheuse. Voici, d’après les termes mêmes dont il se sert, quelle idée nous nous en ferions. Cela se serait passé au lendemain d’Ægos-Potamos, ou peut-être même avant, quand Athènes, voyant ses alliés l’abandonner les uns après les autres, soutenait, avec les débris de sa flotte et de ses équipages, une lutte inégale et déjà désespérée. Elle trouvait l’Hellespont souvent fermé à ses escadres ; à