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cousine, quand elle serait d’âge nubile ; en attendant, il toucherait tout de suite une dot de 2 talents (11,520 francs). Aphobos enfin prendrait pour femme la veuve de son oncle avec une dot de 80 mines (7,440 francs) ; Démosthène ajoutait ainsi 20 mines aux 50 que lui avait apportées en mariage Kléobulé. Ce n’était pas tout ; Aphobos, jusqu’à la fin de la tutelle, aurait l’usage de la maison et du mobilier dont elle était garnie. Toutes ces dispositions étaient consignées dans un testament qui, plus tard, ne se retrouva pas, mais dont l’existence et les clauses principales ne paraissent pas avoir été sérieusement contestées par ceux même qui sont accusés de l’avoir fait disparaître. Ces prudentes et paternelles volontés, ce n’était pas tout de les confier à une fragile feuille de papyrus ; il fallait aussi les graver dans le cœur de ceux à qui l’exécution en était remise. A cet effet, Démosthène appela, il réunit autour de son lit de mort les trois tuteurs. Près du malade était assis son frère Démon, qu’il aurait sans doute chargé de la tutelle, s’il n’avait craint que, déjà âgé, Démon ne lui survécût pas assez pour remplir jusqu’au bout ce devoir. On amena les deux enfans ; sans savoir encore tout ce qu’ils perdaient, ils pleuraient en voyant pleurer leur mère. Rassemblant ce qui lui restait de forces, Démosthène dit à ses neveux et à son ami ce qu’il attendait d’eux ; « il leur recommanda d’affermer la maison et de veiller ensemble à la conservation du patrimoine. » Aphobos était celui auquel il assignait le rôle principal, celui qui devait occuper auprès du foyer la place du chef de famille, épouser sa veuve et servir de père aux orphelins ; il lui fit prendre son fils sur les genoux. Au milieu des larmes qui coulaient, tous lui promirent, lui jurèrent de respecter ses désirs, de veiller fidèlement sur ce cher dépôt. Avant de fermer les yeux, il put croire que l’avenir des siens était assuré, que cette scène douloureuse et solennelle ne s’effacerait pas de la mémoire des tuteurs. Il est peu d’âmes assez dures pour ne point se sentir émues à l’heure des suprêmes adieux, assez légères pour oublier les sermens demandés et reçus par un mourant.


II

La pensée que tout était réglé et combiné pour le mieux dut consoler l’agonie du père de famille et adoucir pour lui l’amertume de la séparation. Cependant aucune de ses prévisions et de ses espérances ne se réalisa. Quand Démosthène eut rendu le dernier soupir, chacun des tuteurs s’empressa de se mettre en possession du legs qui lui était destiné. Thérippide prit le capital dont il devait toucher les intérêts. Démophon s’appropria les deux talents qui formaient la dot de la fille à laquelle son oncle l’avait fiancé.