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couvrir les dépenses d’une éducation vraiment libérale et soignée. D’autre part l’enfant se sentait trop curieux, trop désireux d’apprendre, pour en rester aux élémens. Aphobos eut beau refuser de payer les honoraires des maîtres ; grâce à sa mère et à Démocharès, on ne s’arrêta point à cette difficulté. Peut-être ses maîtres, dès qu’ils eurent apprécié son application au travail et ses heureuses dispositions, furent-ils les premiers à lui faire crédit, à se contenter des engagemens qu’il prit avec eux pour le temps où il serait en possession d’une fortune que personne ne pouvait croire aussi compromise qu’elle l’était réellement. L’adolescent, quand il sut ses lettres, fréquenta donc, accompagné d’un pédagogue ou esclave chargé de veiller sur sa personne et de le préserver de tout mauvais contact, l’école d’un grammairien ; il y étudia les poètes, Homère d’abord, qui chez les Grecs jouait presque dans l’éducation le rôle que remplit aujourd’hui la Bible chez les nations protestantes, puis les lyriques et surtout les élégiaques, Théognis, Simonide, Solon, dont les enfans apprenaient par cœur de longs morceaux destinés à leur servir tout à la fois de préceptes de morale et de leçons de goût. Si l’on en juge par les citations qu’apportent à la tribune certains orateurs de ce temps, Eschine et Lycurgue par exemple, les trois grands tragiques du siècle précédent, Eschyle, Sophocle et Euripide, les deux derniers surtout, avaient leur place marquée dans ces cours dont nous aimerions à mieux connaître la matière et les programmes. Étudiait-on dans ces écoles des auteurs en prose ? Est-ce là que Démosthène prit pour Thucydide cette passion dont témoignent des anecdotes souvent répétées, anecdotes que la critique ne saurait admettre sous la forme que leur ont donnée les sophistes et les byzantins, mais qui n’en contiennent pas moins un certain fond de vérité[1] ? Il y a lieu d’en douter. Toute cette première éducation, celle des enfans et des adolescens, était, à ce qu’il semble, purement esthétique, ne s’adressait guère qu’au sentiment et à l’imagination. Plus tard, quand ils étaient jeunes gens ou hommes faits, ceux des Athéniens qui se sentaient de la curiosité et du loisir complétaient leur instruction ; c’était alors seulement qu’ils abordaient des études qui eussent un caractère plus pratique ou plus scientifique, la rhétorique, la philosophie et la dialectique. Au contraire la musique, inséparable chez les Grecs de la poésie, était une

  1. On prétendait que Démosthène avait recopié huit fois Thucydide de sa propre main ; plus tard, ceci ne parait plus suffisant, et l’on raconte que, l’histoire de Thucydide ayant été brûlée dans un incendie, c’est grâce à la mémoire de Démosthène, qui la récite tout entière par cœur, que l’on parvient à la rétablir. Tout cela est puéril ; mais quiconque a pratiqué Thucydide et Démosthène reconnaît, comme l’avait d’ailleurs fait déjà Denys d’Halicarnasse, tout ce que le second a emprunté au premier pour former son idéal politique et pour créer sa langue.