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assuré, qui n’annonçait rien moins que la conscience de ses forces ; un genre de politesse qui semblait demander pardon d’avance des revers qui devaient arriver ; une modestie outrée qui ne pouvait être qu’affectation toute pure ou excès de crainte de ne pas pouvoir répondre à l’attente publique… Il me répéta, une fois après l’autre, d’un ton qui achevait de me déconcerter : Pourvu qu’on ne fasse pas de grandes fautes ! Et lorsqu’enfin je pris la liberté de lui dire : Mais, monseigneur, tout le monde doit espérer qu’on n’en fera pas sous votre direction, il reprit : Hélas ! je puis à peine répondre de moi-même ; comment voulez-vous que je réponde des autres ? »

Il n’y avait point d’autorité ni d’intelligence qui s’imposât à l’armée. La discorde était partout : l’esprit de coterie, qui avait formé les cadres des états-majors, en paralysait toute l’activité. Les généraux se plaignaient, critiquaient et n’agissaient point. On s’en remettait au commandement, et le commandement n’existait pas. Le 8 octobre seulement, un capitaine envoyé en reconnaissance apporta des nouvelles authentiques des Français. Toutes leurs forces sont du côté de Bamberg. On les attendait ailleurs. Le tiers de l’armée prussienne se trouvait entre Gotha et la Werra, on rêvait un grand mouvement en avant. Ce mouvement aurait peut-être surpris et déconcerté les Français, en les forçant de renoncer à l’envahissement de la Saxe, à établir le théâtre de la guerre sur les points choisis par les Prussiens ; mais an avait attendu : « on avait flotté sans cesse entre un système maladroitement défensif et le projet d’une campagne offensive, et rien n’était arrêté lorsque déjà un ennemi entreprenant, familiarisé depuis longtemps avec la victoire, en concentrant toutes ses forces sur un point, avait simplifié et tranché la question. » Il faut opérer un revirement général ; les troupes reçoivent l’ordre de se porter en toute hâte sur la Saale. « Ce que j’entendis de plus satisfaisant, ajoute Gentz, fut toujours l’observation stérile que rien n’était encore perdu. »

Rien n’était encore perdu ! Voilà où on en était huit jours après l’entrée en campagne. On comptait toujours sur les alliances. L’Angleterre se montrait assez froide, mais l’empereur de Russie avait écrit une lettre qui « serait un monument éternel de sa grandeur d’âme. « Dans ce corps affaibli et désorganisé qui ne pouvait plus désormais que chercher en tâtonnant une place pour s’abattre et mourir, il y avait cependant une âme. C’était la reine. Gentz lui fut présenté le 9 octobre ; il redoutait cette audience, car il n’espérait plus rien. La reine ne lui rendit point une confiance déjà perdue sans retour, mais au moins elle releva son cœur. Il garda de cette entrevue une impression profonde. La reine « s’exprima avec une