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La fondation du gymnase de Ujyidék (en allemand Neusatz, en serbe Novisad) a donné une preuve éclatante du nouvel esprit de largeur apporté par las Magyars dans les choses de l’enseignement. On sait avec quelle âpreté ils ont toujours combattu la propagation des langues slaves sur le sol hongrois, s’efforçant même à diverses époques, notamment en 1848, d’imposer leur propre langue aux quatre millions de Serbes, Ruthènes, Slovaques, établis au nord et au sud dans les comitats voisins de la frontière. On pouvait donc craindre que la proposition, soutenue par M. Miletics et les autres députés slaves, de fonder à Novisad un gymnase de l’état où l’on enseignerait en langue serbe ne fût repoussée avec effroi ou avec dédain par les conservateurs magyars. Bien au contraire, M. Deák a soutenu le projet à l’aide des plus nobles argumens. « Toute race a le droit d’instruire ses enfans, a-t-il dit, laissant de côté la question politique. Quand il y aurait dans notre pays trois cents gymnases, quand on ne pourrait faire six milles sans en rencontrer un, du moment qu’en un seul endroit la population se verrait imposer une langue autre que la sienne, la cause des lumières serait en souffrance… Rien ne serait plus contraire aux vrais intérêts du pays que cette barbarie sacrilège. »

Ils sont malheureusement trop rares, les momens de sincère accord entre les Magyars et les Slaves. De ce côté, l’avenir est menaçant. Tout projet de fédéralisme inquiète les hommes d’état magyars et la plupart de leurs électeurs, quand même il ne serait question que des Tchèques de Bohême, quand même par conséquent ce projet de fédéralisme ne porterait aucune atteinte à la couronne de saint Etienne. Ils ont une idée très avantageuse de leurs capacités politiques et sont justement fiers de leurs antiques et tenaces libertés : « si le bon peuple de Vienne et de Bohême n’avait pas eu notre exemple, il n’aurait jamais songé à une constitution. » Cette prétention des Tchèques d’avoir un roi de Bohême couronné comme il y a un roi de Hongrie couronné, un parlement de Prague comme il y a un parlement de Pesth-Bude, un ministère tchèque comme il y a un ministère hongrois, leur paraît déplacée et un peu risible. Aussi ont-ils pris une grande part à la chute du ministère Hohenwart, et l’avènement du comte Andrassy à la direction commune de tout l’empire a-t-il eu le caractère d’une défaite, politique des peuples slaves. Lorsqu’il s’agit des Confins militaires ou de la Croatie, qui possède une diète provinciale représentée au parlement hongrois par une délégation, l’entente devient encore plus difficile. Ces frontières militaires, créées par Eugène de Savoie contre les invasions turques, ces populations de soldats laboureurs, avaient perdu depuis longtemps leur destination primitive de