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s’arrêter aux rigoureuses limites censitaires de notre ancien régime représentatif, elle a ouvert les listes électorales à la petite Bourgeoisie et à la petite propriété rurale ; pour figurer sur ces listes, il suffit de prouver un revenu d’environ 250 francs, d’être propriétaire ou locataire d’une maison ou d’une terre de médiocre importance, ou d’exercer une industrie pour son propre compte. Il n’y a guère que les domestiques, les artisans pauvres, les simples journaliers des campagnes, la partie désœuvrée ou ruinée de la population des villes, classes, il est vrai, assez nombreuses, qui soient privés du droit d’élire et d’être élus. Si l’on cherchait dans l’histoire un système comparable à celui-là, on ne trouverait guère que les citoyens actifs de notre constitution de 91, avec cette différence que les Hongrois ne pratiquent pas l’élection à deux degrés. Malheureusement, lorsqu’on examine les détails de cette loi ou les conséquences pratiques dont elle est responsable, on ne peut nier qu’elle ne réclame de nombreuses modifications. La « franchise magyare » s’est toujours opposée à l’institution du scrutin secret, et les influences aristocratiques se trouvent fort bien du suffrage public, quelquefois en revanche très favorable aux pressions populaires. Des scènes déplorables ont été signalées à maintes reprises ; tantôt les marchés scandaleux, les entraînemens de l’ivrognerie, tantôt les menaces suivies de blessure et de meurtre souillent chaque fois ces manifestations si augustes de la vie d’un peuple. « Souvent le chiffre est taché de vin ou de sang. » Quant au droit de voter, les articles de la loi sont compliqués et ouvrent la porte à l’arbitraire ; il est bien difficile de s’assurer, en l’absence d’un bon cadastre, que tel électeur se trouve dans les conditions de propriété exigées ; il est également difficile de savoir si un industriel exerce réellement pour son compte et non pour le compte d’autrui. La question des incompatibilités n’a pas été bien réglée. Enfin la loi admet de grandes inégalités, sur lesquelles ont insisté à l’envi, dans la discussion, l’opposition et le gouvernement : les exigences censitaires ne sont pas les mêmes dans la Hongrie proprement dite que dans la Transylvanie, et les circonscriptions électorales sont si mal découpées, que la ville de Debreczin avec ses 46,000 habitans nomme deux députés, et que la ville de Pesth, qui compte 200,000 âmes, en nomme cinq au lieu des huit ou neuf que lui attribuerait un calcul proportionnel.

Ce n’est donc pas le fait même d’un projet de réforme qui a soulevé les passions. La loi déposée par le ministre a déplu et par ce qu’elle contenait et par ce qu’elle ne contenait pas : elle était fort longue, elle compliquait au lieu de simplifier. Dans la bonne intention de préserver de tout abus le régime censitaire, fort peu