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institution, d’où sortaient autrefois les Nourrit, les Levasseur, les Falcon, cesse d’être un vain mot ; qu’on la voie enfin fonctionner et se rattacher au présent. On vient de nommer là M. Thomas, l’auteur du Songe d’une Nuit d’été, de Mignon et d’une partition d’Hamlet. D’autres, d’ailleurs excellens juges, eussent préféré M. Reber, esprit moins vaguement spéculatif et plus dans le courant des choses. Pour nous, notre conviction n’a point changé ; elle reste ce qu’elle a toujours été, à savoir que ce serait surtout un bon administrateur qu’il faudrait mettre à ce poste d’affaires en lui donnant simplement ad latus un comité des études fortement équilibré. D’Alembert disait ; « C’est aux musiciens à composer de la musique et aux philosophes d’en discourir ; » nous compléterons l’aphorisme en y ajoutant que c’est aux hommes pratiques d’administrer. Or parmi les artistes même illustres, même parmi ceux qu’il convient, comme Cherubini, Auber, d’appeler les chefs de l’école française, le bon administrateur est l’exception. L’auteur de la Muette ne l’a que trop bien démontré par son exemple. Maintenant remarquez le tact ordinaire du pouvoir, quel qu’il soit ; c’est justement à cause de la part qu’il a prise à l’administration reconnue aujourd’hui déplorable de M. Auber, dont il fut en quelque sorte le coadjuteur pendant ces dernières années, que M. Ambroise Thomas vient d’être choisi. Car de cette suprématie professionnelle par laquelle s’imposent tout de suite des noms tels que ceux de Cherubini et d’Auber, il n’en saurait être question. M. Thomas n’ayant à son compte ni le Requiem en ut mineur, ni la partition de la Muette, c’est tout simplement ce qui aurait dû contribuer à le faire écarter qui l’a fait élire. On s’est dit : Ne pas le nommer équivaudrait à une destitution, comme s’il pouvait exister des droits de survivance en pareille matière, et comme si c’était un décret providentiel qu’en tout temps et partout Louis XVI succédât à Louis XV. Il n’importe ; l’homme qui, dans les circonstances où nous sommes, se met ou se laisse mettre à la tête d’une institution de laquelle dépend l’avenir de notre école, cet homme assume une responsabilité trop grave pour ne pas mériter tous les égards de la critique, et c’est sur ses actes qu’il faut le juger. Nous y reviendrons. Évidemment M. Thomas nous arrive avec des projets de réforme. Nourri dans le sérail du vieux padischah, il n’en aura connu les détours que pour mieux aérer l’édifice, et c’est à bien apprendre comment on ne doit pas faire que cette désolante fin de règne lui aura servi. Comptons beaucoup sur sa longue expérience, sur son activité. La tâche est difficile, la maison, lézardée depuis des années, s’effondre ; travaillons à rebâtir, à repeupler, à créer une pépinière nombreuse et florissante où le théâtre français et nos scènes lyriques viennent se recruter. Le nouveau directeur du Conservatoire ne peut pas ne pas être un réformateur. M. Thomas a son système, tout le monde est d’accord là-dessus ; qu’il le montre, et nous discuterons.