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Une institution qui décidément a cessé d’être dans nos mœurs, c’est le Théâtre-Italien. La tentative en dernier ressort de cet hiver a complètement échoué. On ne fait pas revivre ce qui n’a plus de raison d’être. S’il fut une bienheureuse période où le goût du public le portait de ce côté, cet âge d’or a disparu, pour le moment du moins. De merveilleux chanteurs révélaient alors l’inconnu à des générations enthousiastes. Des chefs-d’œuvre et des virtuoses incomparables, une réunion de femmes d’esprit, d’hommes d’état, d’artistes et de gens du monde, qui tous se fréquentaient, s’entendaient à demi-mot, une société élégante, riche, partout cherchant l’étincelle électrique où prendre feu, — essayez de nous ramener à ces tourbillons après la guerre prussienne, après l’horrible commune ! Ces ouvrages, alors nouveaux, de Mozart, de Cimarosa et de Rossini, aujourd’hui nous les savons par cœur. La traduction, les concerts en plein vent, et jusqu’aux orgues de Barbarie en ont à ce point vulgarisé les motifs, que nous en avons les oreilles rebattues. Rien ne dit cependant que ces chefs-d’œuvre ne nous charmeraient pas de nouveau, s’ils pouvaient nous être rendus convenablement. Les chanteurs, les orchestres, en ont perdu la tradition. Rossini, lui, n’a déjà plus d’interprètes. Quant à Cimarosa, c’est lettre morte. Après les dernières représentations du Matrimonio segreto, il faut tirer l’échelle. L’Alboni seule, dans Fidalma, avait l’air de savoir ce qu’elle chantait, et l’Alboni n’est elle-même qu’un souvenir. Sa voix n’a point trop souffert, mais la virtuose manque de souffle ; pour les autres, ils manquent de tout. Exécutée ainsi à l’aveuglée, cette adorable musique vous fait l’effet d’une opérette des Bouffes. C’est maigre, étriqué. Vous entendez grincer les violons, s’espacer une voix sans âme, vous vous dites : Qu’est cela ? C’est Pria che spunti, ni plus, ni moins, une merveille, l’idéal du canto spianato, une de ces phrases que les David, les Rubini, n’abordent qu’avec une sorte de terreur religieuse, et qu’enlèvent haut la main les gens qui ne doutent et surtout qui ne se doutent de rien. Le malheur veut que ces gens-là soient aujourd’hui les plus nombreux qu’on rencontre au théâtre, et aux Italiens nous en avons vu le plus beau défilé : ténors et soprani, bassi e contralti, passant et saluant, c’était comme dans la cérémonie du Malade imaginaire. Que signifie un pareil spectacle, et qu’attendre pour l’éducation musicale de notre pays d’un Théâtre-Italien qui n’a plus à nous offrir que Mme Penco dans Anna Bolenna, Mme Laval-Floriani dans la Traviata, ou Marie Sass dans le Trovatore ? Reconnaissons donc une fois pour toutes que c’est une affaire finie, et portons ailleurs nos efforts et nos encouragemens. Restaurons le Théâtre-Lyrique, donnons-lui pour se loger la salle Ventadour ou l’Ambigu, et, puisque nous avons une commission des théâtres, qu’elle nous aide à nommer un directeur capable d’inaugurer décemment la situation. Une troisième scène musicale peut rendre des services, à cette