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de musique ; cette absolue nécessité d’un continuel échange de rapports, M. Gevaërt l’avait comprise, et le roi, en l’appelant à ce poste, a décidé que ses pleins pouvoirs s’étendraient sur toute musique dramatique, religieuse et symphonique. Espérons que l’exemple va nous piquer d’émulation, et qu’on nous épargnera cette nouvelle disgrâce de voir un petit pays nous battre avec des ressources beaucoup moindres que les nôtres, et tout simplement parce qu’il aura mieux su discerner les aptitudes des hommes qu’il emploie, ce qui me paraît de plus en plus être un art qu’en Europe tout le monde possède, excepté nous.

M. George Hainl vient de se démettre de ses fonctions de chef d’orchestre de la Société des concerts. Faut-il ne voir dans cette abdication d’autre motif que celui qu’on lui prête généralement, c’est-à-dire un surcroît d’attributions offertes et acceptées à l’Opéra, où M. George Hainl, déjà chef d’orchestre, occupera désormais en même temps l’emploi que remplissait M. Gevaërt ? Il est certain qu’un pareil cumul semble de nature à devoir absorber toute l’activité d’un homme. C’étaient cependant de bien illustres fonctions que celles de chef d’orchestre au Conservatoire, et nous avons quelque peine à supposer qu’on puisse les abandonner, ainsi de gaîté de cœur, alors qu’on se croit sûr de réunir la majorité des suffrages à de prochaines élections. Tranchons le mot, le mal qui ruine nos théâtres travaille aussi et depuis longtemps la Société des concerts. Là, comme partout ailleurs, chacun tire à soi, veut dominer. Dans une compagnie de ce genre, où les soldats sont eux-mêmes des capitaines, la subordination ne saurait exister à demeure, on ne l’obtient qu’en l’imposant ; battre la mesure ne suffit pas, il convient d’avoir une force, un prestige, d’être quelqu’un. Habeneck en ce sens fut le héros. Tête carrée, intelligence vigoureuse, main de fer, il avait la puissance de cohésion, l’autorité. Habeneck savait ce qu’il voulait et le faisait exécuter, sans jamais souffrir de réplique et ne se laissant interpeller sur un mouvement ou mettre en cause ni par la petite flûte ni par le basson. Avec lui, tout le monde se tenait à sa place. De plus, c’étaient alors les premiers temps de la Société, chacun avait la foi dans l’œuvre, chacun l’aimait et s’y dévouait. Sous Girard, esprit modérateur et persuasif, la bonne constitution se maintint encore, et ce n’est guère qu’à dater de l’avènement de son successeur que les signes de dislocation commencèrent à se manifester. D’un côté, amoindrissement de l’autorité, complet dépérissement du pouvoir discrétionnaire entre les mains d’un chef plus ou moins discuté, contesté ; de l’autre, diffusion de la musique instrumentale : telles furent les principales causes du désarroi auquel nous assistons.

La Société des concerts se démembre. N’est-elle pas aujourd’hui un peu partout ? Qui trouvons-nous à la tête de toutes ces réunions nouvelles qui se forment ? Des, chefs de pupitre de la rue Bergère, fatigués d’obéir