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gratuit. Le gouvernement avait espéré que la difficulté religieuse s’évanouirait devant quelques concessions ; elle est plus menaçante que jamais. Les diverses sectes se disputent avec acharnement les bénéfices de la loi ; on accuse même le ministère d’avoir accru de beaucoup les secours aux établissemens fondés par le clergé. L’état s’abstient, il est vrai, de juger entre les croyances ; que l’école soit protestante, catholique, juive, ou qu’elle appartienne à l’une des dénominations[1] aussi nombreuses dans la Grande-Bretagne que les lettres de l’alphabet, il se contente de demander si les régisseurs sont satisfaits du mode d’enseignement, et dans le cas où leur réponse est affirmative il accorde la subvention. Peut-il néanmoins exiger que les mœurs et les vieux préjugés s’imposent la même réserve ? Dans les campagnes, le parc du squire est ouvert une fois par an aux élèves de l’école orthodoxe. Les anciennes familles du voisinage, les belles ladies, viennent assister à la fête, applaudir aux jeux de toute cette jeunesse qui s’amuse, tandis que les enfans de l’école libre contemplent piteusement et d’un œil d’envie à travers les grilles toute cette joie dont ils sont pour ainsi dire excommuniés. De telles distinctions sont-elles de nature à semer dans les jeunes cœurs des germes de concorde et d’union ? Quel autre remède à un pareil état de choses que l’école fondée, comme dans les États-Unis d’Amérique, sur les droits et les devoirs du citoyen, citizenship ? Au nom de la fraternité humaine, beaucoup de nos voisins désirent que l’instruction laïque soit un terrain neutre où nul élève n’ait à rougir de la foi de ses pères, ni même de leur incrédulité. Le meeting s’est séparé en déclarant que l’agitation continuerait jusqu’au jour où tout enfant en Angleterre recevrait une bonne éducation primaire, c’est-à-dire en harmonie avec les droits de la conscience et de la liberté religieuse.

À cette conférence en succéda une autre, qui fut un événement dans l’histoire politique de l’Angleterre. Le 23 janvier 1872 se réunirent à Manchester les non-conformists. Cette ville avait été choisie à dessein ; c’est là que trône la National education union, et l’on avait voulu attaquer l’ennemi dans son camp : 1,880 délégués, dont chacun représentait des groupes considérables, assistaient à ce meeting. Les orateurs furent très agressifs, et les journaux anglais ont donné à l’exposition de leurs griefs le nom de révolte, — révolte morale, la seule qu’on connaisse en Angleterre, et qui conduise vraiment à la conquête d’un droit. Ce qu’on ne sait pas assez

  1. Le mot, dans le sens où on l’emploie depuis quelque temps, est tout moderne : il ne se trouve point, du moins avec cette acception, dans le dictionnaire de Johnson : aujourd’hui il sert à désigner toute espèce de sectes. De là le terme de denominational schools (écoles sectaires) dans le langage de la polémique.