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qu’était-ce particulièrement que ces lois sur les coalitions ouvrières, sur les réunions publiques ? On a peut-être compromis pour longtemps des droits sérieux qui portent aujourd’hui la peine des combinaisons équivoques qui en ont réglé l’usage et des excès auxquels ils n’ont point été étrangers, qui les ont mis en suspicion. Qui donc, au point de vue de l’équité sociale, peut contester aux ouvriers la liberté de veiller à leurs intérêts et même de s’entendre en certains momens, sous certaines formes régulières, pacifiques, pour défendre ces intérêts ? En réalité, la loi, telle qu’elle était conçue, organisait en quelque sorte la guerre entre patrons et ouvriers sans prévoir, sans créer aucun moyen de prévenir les conflits ou de les apaiser. Elle faisait presque des grèves une institution, elle livrait l’industrie à la discrétion du nombre, sans profit réel pour les droits et pour l’indépendance des ouvriers eux-mêmes, exposés désormais à devenir les instrumens dociles et toujours sacrifiés des associations plus ou moins légitimes qui auraient la prétention de représenter leurs intérêts. Chose plus grave enfin, elle pouvait mettre une arme redoutable entre les mains des agitateurs politiques. Cette loi nouvelle en un mot, bien loin de résoudre une question aussi délicate que complexe, ne faisait que développer les hostilités des classes en créant une crise aiguë et permanente au sein de la société industrielle.

La loi sur les réunions publiques ! c’était là encore une de ces tentatives incohérentes d’une politique plus préoccupée d’un certain effet d’ostentation que de l’application sérieuse et pratique d’un droit assurément essentiel. Telle qu’elle était, cette loi, sans être un piège comme on le disait alors, était du moins vague, insuffisante et excitante. Inefficace dans le système de restrictions ou de surveillance qu’elle organisait, facile à tourner par des déclarations concertées, successives, qui aboutissaient au club déguisé et en permanence, elle semblait venir fort à propos pour offrir un théâtre à un personnel de déclamateurs et d’agitateurs obscurs, peu nombreux, mais remuans et impatiens de se produire. La loi, il est vrai, limitait la compétence des réunions publiques ; elle avait la naïveté d’exclure la politique, elle n’admettait que la discussion des questions économiques et sociales, comme s’il était facile à un commissaire de police envoyé en surveillance de saisir la distinction pratique entre la politique et l’économie sociale ! M. Mettetal le dit justement : « La religion, la notion de Dieu, est-ce de la politique ? Non. La famille ? Non. Le mariage ? Non… De même du prolétariat et de toutes les questions qui intéressent les rapports des ouvriers et des patrons. Vous comprenez la conséquence… »

Ce qui est arrivé en effet, on l’a vu. L’expérience a été