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instructive pour ne pas dire « effroyable, » selon le langage employé dans l’enquête. D’une loi sur les coalitions ainsi faite, ainsi conçue, il est sorti ce qui devait sortir, — des conflits, des grèves meurtrières, le trouble dans l’industrie, l’agitation dans les classes ouvrières, livrées aux influences de meneurs implacables. Les réunions publiques sont devenues une école bruyante, tumultueuse, de démagogie, d’athéisme et de licence, où se sont produites les utopies les plus insensées, les prédications les plus furieuses, où l’on a pu tout dire, tout attaquer, tout diffamer, où l’on a pu aborder les questions les plus irritantes par les côtés les plus périlleux, « pourvu qu’on ne parlât pas de l’empereur, de la dynastie ou des ministres, — et on a fini par en parler. »

Jamais peut-être on n’avait vu un tel spectacle d’incandescence, de fièvre et de désordre d’esprit. En réalité, ces réunions ont eu un double résultat : elles n’ont pas créé l’armée révolutionnaire qui existe toujours à Paris, qui se tenait tout au plus dans l’ombre ; elles ont donné aux élémens de cette armée un moyen de paraître au grand jour, de se rapprocher, de se grouper et de se compter. Elles ont été en outre le signal de ce qu’on a justement appelé la rentrée en scène du socialisme. Sans doute le socialisme n’était point une nouveauté ; il était apparu en 1848 dans le feu d’une révolution, dans les déchiremens de la guerre civile, et il n’avait pas cessé d’exister, même de se propager obscurément, si l’on veut. Seulement on ne l’apercevait pas d’une manière distincte, on ne le voyait que dans les livres, dans des théories surveillées et contenues, dans des tentatives qui affectaient les dehors de réformes inoffensives, d’améliorations pratiques. Ce qu’il y a eu de nouveau dans tout ce que les réunions de 1869 et 1870 ont mis soudainement au jour, c’est le caractère même de cette recrudescence, de cette agitation roulant comme dans un torrent déchaîné des fureurs inconnues, des haines échauffées par une longue compression, des appétits aiguisés au spectacle d’une époque de luxe et de fortunes subites, des ambitions sans scrupule, l’âpreté des convoitises, le matérialisme le plus abject, l’athéisme le plus cru, la négation de tout ordre moral. Voilà ce qui est apparu. C’est là, c’est dans ces réunions détournées de leur but et envahies par la tourbe révolutionnaire, que s’essaie, que commence à se produire tout ce qui sera la commune, hommes et choses, programmes d’anarchie et jusqu’à ce personnel violent, médiocre, inassouvi, qui s’abat comme une nuée de sauterelles sur Paris. De tous les calculs du gouvernement, voilà ce qui est resté : l’état moral le plus confus, des classes ouvrières agitées et non satisfaites, des classes moyennes inquiètes, désaffectionnées, un public dégoûté, sceptique, plus