quelques broussailles et un triste horizon où des lueurs fines et argentées luttent avec les brouillards. La couleur est un peu sourde, car M. Breton n’est pas un coloriste de métier, et il peint moins pour le plaisir de peindre que pour exprimer un sentiment. La fontaine elle-même n’est pas une de ces ruines somptueuses où les amateurs de couleur locale aiment à placer de belles Italiennes dans leur brillant costume national ; c’est une pauvre petite source isolée au milieu des champs, jaillissant presque à ras de terre, et humble comme tout ce qui l’environne. Quant aux deux jeunes paysannes, coiffées de leur petit bonnet rond, vêtues de leurs vilaines cotonnades, avec leurs grosses jupes retroussées pour le travail, ce ne sont ni de belles contadines romaines, ni des nymphes de fantaisie ; ce sont de pauvres servantes, absorbées par les rudes travaux, vivant simplement, pensant de même, et ne voyant pas grand’chose au-delà du labeur de chaque jour. Pourtant elles sentent et elles rêvent ; il y a dans leurs regards, dans leurs attitudes, une certaine mélancolie, qui s’accorde avec la nature et avec l’heure du jour ; elles ont cette noblesse calme et simple, cette grâce naturelle que rien ne saurait imiter, et dont la vérité naïve dépassera toujours les effets de théâtre et les poses d’atelier les plus savantes. Celle qui est debout ressemble à une cariatide grecque. Les critiques minutieux qui épluchent toutes choses vous diront peut-être que cette pose est empruntée à la Source de M. Ingres. Non, M. Breton n’est pas un plagiaire. Il a choisi cette attitude comme il a dessiné les plis de cette grosse robe de serge si largement drapée, parce qu’il l’a prise sur le fait, et qu’il est un de ces artistes supérieurs dont les œuvres ne sont pas des compilations pillées dans les académies et les musées, mais des créations spontanées de leur génie, et qui trouvent la beauté sans effort, parce qu’à leurs yeux l’idéal et la réalité ne font qu’un.
M. Breton est arrivé aujourd’hui à toute la maturité de son talent. C’est sans doute à cause de cela qu’il devient moins populaire, et non pas à cause de l’affaiblissement qui se fait peut-être sentir dans son exécution. La foule se pressait devant ses toiles quand il faisait des tableaux de genre, des scènes de village, des vignettes pittoresques et amusantes. Elle l’admirait encore et s’attendrissait avec lui quand il nous représentait ces groupes charmans de faneuses dont la mélancolie se mariait à celle du soleil couchant. Le gros public a cessé de le comprendre quand cette poésie facile est devenue plus profonde et plus grave. Lui-même a paru chercher sa voie pendant quelque temps. Aujourd’hui toute trace d’imitation et d’effort a disparu. Il est en pleine possession de sa pensée, et cette pensée est bien à lui. Malheureusement M. Breton est un solitaire dans l’é-