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La figure du grand-connétable, vue de dos, cambrée fièrement dans son grand manteau noir, est vraiment très ferme et très belle. C’est chez les étrangers qu’il faut aller maintenant pour y retrouver l’art français tel que nous l’avons connu jadis.

Un peintre étranger aussi, non moins distingué, quoique dans un genre plus modeste, et appartenant d’ailleurs à l’école française, M. Anker, a eu l’heureuse idée de rappeler sa patrie à la reconnaissance du public français par son touchant tableau des Soldats de Bourbaki soignés par des paysans suisses. C’est une œuvre pleine de bonhomie, de sobriété, de naturel et de sentiment simple. Une honnête famille apporte à manger aux pauvres prisonniers couchés dans l’étable obscure, à côté des moutons étonnés de ce voisinage. L’un d’eux boit avec avidité une jatte de lait dans les mains d’une vieille femme ; un bon vieux père se tient à côté avec une de ces figures bienveillantes qu’on ne voit que dans les pays de mœurs pastorales, et deux enfans intimidés, émus de tant de misères, se cachent derrière les vieux parens. Cette composition est parlante ; elle ne cherche pas l’effet, mais elle le trouve, grâce à un heureux mélange d’esprit, de naïveté, de finesse et de bon sens, oui, de bon sens, car le bon sens n’est pas une qualité sans valeur, même dans les arts de l’imagination. Chamfort disait :


Le goût n’est rien qu’un bon sens délicat
Et le génie est la raison sublime.


C’est justement un des plus grands défauts de notre époque que de trop dédaigner cette qualité exquise et modeste, et de chercher à remplacer le génie, qui souvent nous manque, par l’affectation et par la manière, qui ne conduisent qu’au ridicule.

On pourrait classer le Gullertanz de M. Brion parmi les tableaux d’histoire, et même d’histoire ancienne, puisque c’est un souvenir d’Alsace, et du temps où l’Alsace était heureuse. A présent, ce nom n’évoque plus des tableaux de danses villageoises. On connaît d’ailleurs le talent fin, gai, brillant et solide de M. Brion, l’émule en ce genre du célèbre Knaus. — Passons donc, et demandons-nous si la Toilette, ou plutôt le tondeur de chiens de M. Baader, est aussi un tableau d’histoire ? Il appartient à ce genre mêlé et factice, qui, empruntant un sujet familier à la vie réelle, croit le relever en le déguisant sous le costume d’une autre époque. Combien n’avons-nous pas vu, il y a quelques années, de marquis et de marquises poudrés, de hallebardiers du moyen âge, de dames à fraises ou de châtelaines en souliers à la poulaine ! À présent, c’est l’antiquité qui est à la mode. Un peintre qui craint d’être banal met vite à ses personnages un péplum, une tunique, une paire de sandales lacées, et