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le tour est fait. M. Baader ne remonte pas si loin ; il s’est contenté de faire endosser à son tondeur de chiens un costume du temps de Louis XIII, et c’est vraiment dommage, car ce petit tableau ne manque ni d’esprit ni de vérité. L’opérateur est assis sur les marches d’une maison, tenant entre ses jambes un gros chien blanc. Un petit chien noir dressé devant lui jappe avec fureur. Le dessin de la tête, des bras, des jambes, du cou est excellent, quoique les proportions générales, un peu trop académiques, nuisent à la réalité pittoresque du modèle ; mais pourquoi ces oripeaux inutiles ? Pourquoi, pour employer une expression d’atelier, cette grossière ficelle ? Ces enjolivemens n’ont rien de commun avec l’art sérieux, qui ne consiste pas dans le décor, mais dans la vérité.

Un jeune homme fort bien doué, M. Heullant, donne un peu dans le même travers. La Cachette, tel est le titre d’une fantaisie plus ou moins étrusque où il nous représente, dans un jardin, une jeune fille en costume antique, soulevant le couvercle d’un tonneau où elle a caché son amant. Le mouvement inquiet de la jeune fille est charmant ; l’air un peu morfondu du jeune homme sortant de sa cachette est fort spirituel. La robe, les couronnes de fleurs entrelacées aux chevelures, les buissons de fleurs et de plantes grimpantes qui remplissent ce coin du jardin, sont d’une touche fraîche, légère, pailletée, éblouissante de tons clairs. Un autre tableau de M. Heullant, la Source, représente un jeune pâtre blond, couronné de fleurs, debout au bord d’un ruisseau et donnant à boire dans une feuille de lotus à une jeune fille brune qui se penche de l’autre côté. Le groupe est mièvre, mais des plus gracieux ; les couleurs sont d’une vivacité hardie et presque offensante pour les yeux. Oui certes, M. Heullant a beaucoup d’esprit, de facilité, de grâce et d’éclat ; il en a tant que j’en suis inquiet pour son avenir. C’est mauvais signe quand un artiste à ses débuts manque déjà tout à fait de naïveté, et quand il a besoin de réveiller son imagination blasée par des fantaisies d’un goût douteux.

Ces mièvreries archaïques ne diffèrent guère que par le costume des mièvreries modernes, si fort mises à la mode par MM. Wilhems, Goupil, Caraud, et tant d’autres. Sous le titre de une Nouvelle en province, épisode de la guerre, M. Goupil nous représente une scène qui n’a rien de militaire. Trois jeunes femmes rassemblées dans un salon viennent de recevoir de l’armée des nouvelles apparemment satisfaisantes, à en juger par leurs aimables sourires. L’une, en robe bleue, lit une lettre ; l’autre, en robe jaune, se penche sur une carte, qu’elle regarde d’un petit air capable ; la troisième, en châle rouge et en chapeau, une visiteuse sans doute, se borne à sourire d’un air très gracieux. Toutes les trois paraissent fort ex-