Page:Revue des Deux Mondes - 1872 - tome 99.djvu/885

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

paraît vraiment singulière : plus elle travaille, moins elle gagne. Est-ce à dire que l’on doive s’arrêter, suspendre les concessions éventuelles, ne plus construire de nouvelles lignes et attendre plus ou moins longtemps que la recette kilométrique pour l’ensemble du réseau remonte et se fixe à un chiffre plus rémunérateur ? Cela serait inadmissible. Les populations veulent, et elles ont raison de vouloir qu’on leur donne des chemins de fer ; sous ce rapport, le suffrage universel n’est pas seulement exigeant, il est impérieux. Les partis les plus divisés en politique se réunissent dès qu’il s’agit de réclamer une ligne, un embranchement, une gare, un service plus accéléré ou plus fréquent. C’est le train de la popularité, et, au temps où nous sommes, c’est le train de tout le monde. Il y a un chemin de fer dans les plis de chaque candidature. Ce qui est sérieux et vrai, c’est que l’organisation actuelle de l’industrie, le mouvement des échanges, la concurrence entre tous les peuples, enfin, nous le voyons trop tard, les intérêts de la défense militaire demandent la multiplication des voies rapides. La statistique n’y fait pas obstacle. Elle se borne à établir sans émotion, comme un comptable, le crédit et le débet de l’affaire ; elle donne l’inventaire du passé, le budget du présent et le devis de l’avenir. Elle écrit en quelque sorte les factures qu’elle n’a point l’embarras de payer.

Le véritable débiteur, ce n’est même pas ce million d’actionnaires ou d’obligataires qui a confié ses capitaux à l’industrie des voies ferrées. Sans doute on risquerait d’amener une perturbation très-redoutable en altérant brusquement, par une atteinte profonde, les conditions actuelles de l’exploitation, et la crise s’étendrait à toutes les zones du crédit public. Aucun gouvernement ne serait tenté de courir pareille aventure, car le vrai débiteur, ce serait l’état garant des compagnies, l’état qui serait obligé de combler le déficit des recettes et qui verrait diminuer en même temps la valeur de son gage. Dès maintenant, aux termes des contrats, il doit aux compagnies des annuités qui dépassent 30 millions, et la situation présente du trésor le condamne à rechercher des combinaisons dilatoires. Est-ce le moment d’accroître le chiffre de cette dette annuelle ? ce qui arriverait infailliblement, si, malgré les avis de la statistique, l’extension nécessaire du réseau était livrée aux caprices et aux imprudences de la spéculation.

Il appartient aux pouvoirs publics de calculer avec précision ce qui doit être entrepris. En premier lieu se présentent les lignes stratégiques, dont la construction ne saurait être ajournée. Puis viennent les lignes déjà concédées éventuellement au profit de plusieurs régions qui les attendent et qui ont le droit de compter sur elles. La perte de nos deux provinces de l’est entraînera sans doute le