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pas, que c’était dans Paris qu’ils avaient à faire. Ce n’est pas seulement le préfet de police qui le prétend ; M. Fribourg, l’ancien fondateur de l’Internationale, l’avoue avec une sincérité indignée. « Beaucoup d’officiers, selon sa déclaration, n’ont accepté d’être chefs que pour être en possession d’un instrument politique. Quand on a voulu les lancer sur l’ennemi, ils ont dit : L’ennemi est à l’intérieur, ceux qui vont à l’extérieur sont des lâches qui désertent la cause de la république. Cela m’a été dit à moi-même quand on a appris que je voulais aller à l’ennemi du dehors plutôt que de surveiller au dedans…, » M. le colonel Montaigu raconte l’histoire de ce fameux bataillon de tirailleurs de Flourens, composé de « 200 hommes pris dans la garde nationale et de 300 chenapans ramassés dans le ruisseau, qui se sont déshonorés six fois en cinq jours devant les Prussiens. » On les avait envoyés à Créteil. « C’était un essai que je voulais faire, dit le colonel Montaigu. Le même jour où partait pour Créteil le bataillon de Flourens, j’envoyais à la Gare-aux-Bœufs un autre bataillon, le 106e commandant Ibos, qui nous avait délivrés à l’Hôtel de Ville le 31 octobre. Ce sont les deux premiers bataillons menés devant l’ennemi : l’un a pris la Gare-aux-Bœufs, l’autre a fui six fois devant les Prussiens ! » Mais la scène la plus burlesque en vérité est celle où M. Jules Ferry, un des membres du gouvernement, a un rôle. M. Jules Ferry avait eu l’idée assez bizarre d’aller porter un drapeau au bataillon de Belleville avant son départ pour les avancées. Le drapeau eut peu de succès, on le mit en lambeaux sous prétexte que c’était encore une trahison, un moyen « de dénoncer les Bellevillois aux Prussiens et de les faire massacrer. » Le colonel Montaigu raconte ce qu’ils firent avec ou sans drapeau. C’était la faute de chefs incapables, mal choisis, dit-on ; c’est assez vraisemblable, mais ces chefs avaient été justement choisis pour cela, ils avaient été nommés pour ne rien conduire, pour laisser tout faire, et le malheureux Clément Thomas a payé plus tard de sa vie quelques sévérités nécessaires, quoique toujours inefficaces, du commandement supérieur.

Voilà ce que devenait une garde nationale ainsi organisée. On prenait les galons, les grades, les armes, les munitions, avec le droit de se plaindre de tout, de se livrer à toutes les séditions, et ce qu’il y avait assurément de plus corrupteur, c’est que pour ce genre de service on était payé, nourri, entretenu. C’était encore une nécessité du siège, on l’assure ; sans les trente sous, le siège était impossible ! on ne pouvait laisser toute une population sans ressources, sans moyens d’existence. — Oui, c’était jusqu’à un certain point un des malheurs de la situation ; seulement on aurait pu employer d’autres procédés tout aussi efficaces et même plus conformes