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repris de justice. La seconde conséquence, c’était que la direction de cette masse obscure et incohérente échappait nécessairement à toute vigilance, à toute autorité régulière. La garde nationale allait au hasard. Les grades passaient à qui voulait ou savait les prendre. Il suffisait d’avoir assassiné un pompier, d’avoir paru dans les réunions publiques, d’avoir mené une vie un peu accidentée, pour avoir les galons d’officier supérieur. Quelquefois il y avait mieux. Un des maires de Paris prétend qu’il a eu comme chef de bataillon dans son arrondissement un homme condamné pour escroquerie et abus de confiance. Un autre maire déclare qu’il a eu, lui, un chef de bataillon, célèbre depuis dans la commune, qui, après avoir recueilli des souscriptions pour des canons, — cinq ou six mille francs, — ne put jamais fournir ni le compte de l’argent qu’il avait reçu, ni les canons. Obéissait d’ailleurs qui voulait. Dans une circonstance, un officier mis à l’ordre du jour pour avoir montré de la fermeté dans la répression d’une scène de désordre arrivait consterné auprès du colonel Montaigu en lui avouant que le témoignage du commandant supérieur l’avait perdu dans l’esprit de ses hommes. « Il était perdu devant son bataillon parce qu’il recevait un éloge de l’état-major pour s’être montré homme d’ordre ! »

Y avait-il du moins dans cette garde nationale ainsi formée une certaine volonté un peu sérieuse de combattre et de servir ? La passion de l’uniforme et du galon dont on semblait si vivement animé cachait-elle la préoccupation unique et fixe de l’ennemi extérieur qui étreignait Paris ? Certes chez beaucoup, même dans la masse, cette préoccupation existait, et pendant les premiers mois le patriotisme était assez puissant pour dominer et contenir les mauvais instincts, les mauvais desseins. Il n’y avait qu’à faire vibrer cette corde de l’honnêteté, du sentiment patriotique, pour refréner le désordre comme on le vit au 31 octobre. Nombre de bataillons ne demandaient qu’à marcher ; seulement ils étaient mêlés, l’esprit différait de quartier à quartier, de bataillon à bataillon, souvent de compagnie à compagnie dans le bataillon, et quelquefois dans une même compagnie la guerre civile était en germe.

Au fond, ceux qui faisaient le plus de bruit, qui se déchaînaient avec le plus de violence et criaient toujours à la trahison parce qu’on ne sortait pas en masse, parce qu’on n’avait pas encore exterminé les Allemands, ceux-là n’étaient point assurément les mieux disposés. Ils usaient d’intimidation auprès du gouvernement pour se faire délivrer les meilleures armes ; ils ménageaient leurs cartouches, ainsi que le remarque M. Bethmont, pendant que les braves gens brûlaient leur poudre ; ils se réservaient, et en prenant leur verre d’eau-de-vie, selon le mot. de M. le préfet de police Cresson, ils se disaient prudemment que les Prussiens du dehors ne les regardaient