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reconnaître les supériorités qui nous gênent, et, pour avoir le droit d’être ingrats, nous nions même les services rendus. Longtemps encore, bien des gens ne voudront pas être détrompés. Que de fois, me trouvant avec le sergent, lorsque par hasard j’avais laissé échapper son nom : — Ah ! l’espion ! — faisait quelqu’un en se retournant d’un air curieux. Le pauvre soldat ne disait rien, mais il courbait la tête sous cette honte imméritée, et son visage devenait sombre.

Dans quelques jours, le sergent Hoff aura quitté le service. Estropié comme il est, privé du bras gauche, il ne saurait gagner sa vie. Que va-t-il devenir ? On a parlé pour lui d’une place de gardien dans l’un des squares de Paris, et le chasseur d'hommes à l’avenir protégerait des enfans et des fleurs. Après ce qu’il a fait, peut-être méritait-il mieux encore. Ce n’est pas qu’il demande rien : simple et modeste, il n’a jamais songé à tirer de ses exploits ou vanité ou profit, mais ce désintéressement même est un titre de plus. Quelque temps après la commune, un personnage, officier supérieur dans une armée étrangère, fit appeler notre sergent, et là, en présence du consul, lui offrit un brevet de capitaine. Hoff refusa. — Je n’ai servi et ne servirai jamais que mon pays, — dit-il simplement. Au ton dont cette réponse était faite, l’étranger comprit et n’insista plus ; mais il saisit la main de Hoff et la serra cordialement. C’est que le sergent a son idée. Ses trois frères ont opté pour la nationalité française et travaillent ici maintenant ; le jour venu, tous seront soldats ; lui-même, malgré sa blessure, il peut encore manier un fusil. Et il y a là-bas au pays le vieux père, la vieille mère, demeurés seuls, mais vaillans encore, qui ont tenu à garder jusqu’au bout le coin de terre où leurs enfans sont nés. Tant que l’Alsace restera prussienne, tant que par droit de conquête les reîtres étrangers feront chez nous !a loi, Hoff ne doit point chercher à embrasser ses parens, il le sait. Sa liberté, sa vie peut-être paierait cette imprudence. Et cependant, d’une foi vive envisageant l’avenir, il compte bien les revoir un jour : il reverra les Vosges, et Saverne, et Strasbourg, et le vieux Rhin qu’on a fait tout allemand... Si c’est une illusion, je n’aurais garde de la lui ravir.


L. LOUIS-LANDE.