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furent mis en réquisition, et cependant les transports éprouvèrent de longs retards.

Si défectueuses que soient ces routes, la poste y circule néanmoins avec une célérité remarquable. Il n’est pas rare d’atteindre en marche une vitesse de plus de 20 kilomètres à l’heure, bien que de fréquens arrêts allongent beaucoup la durée du voyage, surtout au printemps, lorsque la neige fond et que le traîneau d’hiver est remplacé par la téléga, voiture à quatre roues non suspendue[1]. M. Collignon observe avec raison que l’activité des correspondances postales donne une appréciation assez exacte du niveau économique d’un pays. Or en 1860 la poste russe avait un départ par jour pour Moscou, grâce au chemin de fer, mais elle n’en avait que deux par semaine pour Odessa, un par semaine pour Nijni-Novgorod en temps ordinaire et trois pendant la foire annuelle de cette ville, deux pour Arkhangel, quatre pour Revel et Riga dans les provinces si prospères de la Baltique, cinq pour la Pologne et l’étranger. Bien que nos courriers quotidiens ne remontent pas à une époque très éloignée, cette intermittence de la poste est une incommodité qui semble contraire à toute activité commerciale.

La construction des ponts offrait de bien plus grandes difficultés que celle des routes ordinaires. À ce point de vue, la débâcle annuelle des cours d’eau était un obstacle formidable, puisque fleuves et rivières roulent au printemps des monceaux de glaces auxquels il semble que les ouvrages les plus solides ne puissent pas résister. En réalité, on ne rencontre encore que très peu de grands ponts en Russie. On franchit bien les petites rivières sur des travées en charpente ; mais sur les cours d’eau plus importans il est habituel de voir des ponts de bateaux ou des bacs que l’on replie le long des rives en hiver. Quand survient une crue ou une débâcle, la communication entre les deux rives reste interrompue pendant plusieurs semaines. C’est ainsi que de Moscou à Nijni-Novgorod, sur une longueur de 450 kilomètres, on franchit quatre ponts flottans. Les chemins de fer ne pouvaient s’accommoder de pareilles interruptions. Les ingénieurs français qui ont établi les principaux railways russes ont donc eu de grands travaux à faire en ce genre. Le plus souvent ces ponts servent à la fois au chemin de fer et aux routes parallèles. L’obstacle principal étant, on l’a dit plus haut, la débâcle des glaces, on y a remédié par une disposition ingénieuse des avant-becs de piles qui sont non pas verticaux, comme en nos pays, mais

  1. La téléga est la seule voiture possible dans un pays où les routes sont mauvaises et les campagnes sont peu habitées. Qu’elle se brise en chemin, avec une hache on taille une pièce de rechange dans la forêt voisine, tandis qu’une voiture suspendue sur des ressorts devrait être abandonnée sur place au premier accident.