Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/167

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce sentiment du vide n’est pas un simple phénomène moral ; rien ne lui est resté de ce qui la faisait autrefois vivante. Un seul tombeau presque informe à force d’altérations, qui a contenu, si je ne me trompe, un ancien évêque de Langres, se laisse voir encore dans une niche pratiquée très haut près d’une des portes latérales. Parmi les débris de l’église qui n’ont pu être utilisés dans la réparation, je remarque un buste de sainte de grandeur naturelle, œuvre évidente de la renaissance, d’une expression charmante, qui me rappelle d’assez près le caractère des femmes de Léonard de Vinci. Est-ce un fragment d’une statue de sainte Madeleine ? C’est tout. Je ne crois pas avoir de ma vie ressenti une impression aussi sépulcrale.

Du reste ce froid de mort s’étend à tout ce qui entoure l’église et à la localité même où elle s’élève. Du chœur, je passe dans la salle capitulaire, aujourd’hui transformée en chapelle dédiée à la Vierge, et avoisinée par une charmante galerie claustrale à courtes colonnes romanes. C’est tout ce qui reste de l’ancienne abbaye. Il y eut un jour où cette salle fut le théâtre d’une scène bruyante et mémorable, sous le gouvernement de l’abbé Guillaume de Mello, successeur de Pons de Montboissier. L’abbé avait quitté l’abbaye pour aller demander justice des violences du comte de Nevers, fils de l’ancien adversaire de Pons et héritier de toutes ses haines. Ses religieux. assiégés dans leur monastère, voyaient venir le moment où la résistance serait inutile ; en outre l’intrigue avait introduit la division dans leurs rangs, et un parti s’était formé, qui parlait de se soumettre au comte de Nevers. Alors le prieur Gilon, qui gouvernait en l’absence de l’abbé, homme plein de sens et d’éloquence persuasive, s’il faut en juger par les remarquables fragmens de ses discours que nous a conservés Hugues de Poitiers, une sorte de prudent Ulysse du cloître, assembla ses moines dans cette salle, et leur démontra que la résistance étant désormais inutile, et la soumission impossible, puisqu’elle équivaudrait à une trahison, un seul parti était digne, celui de la désertion en masse et de l’exil volontaire, résolution qui fut exécutée au grand embarras du comte de Nevers, qui, en place d’ennemis auxquels il pensait dicter sa loi, ne rencontra que des salles vides. Lorsque je l’ai visitée, cette salle était encore occupée, mais c’était par une bande d’inoffensifs marmots auxquels un jeune prêtre enseignait le catéchisme.

De la salle capitulaire, je suis allé sur la terrasse qui domine la vallée de la Cure. Le paysage que l’œil embrasse est d’une remarquable étendue ; en dépit de son manteau de verdure, il est singulièrement triste à force d’être nu et dépouillé. Aussi loin que la vue s’étende, elle n’aperçoit pas un arbre. J’ai demandé à quoi cela tenait, on m’a répondu que tous les arbres des environs avaient été