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arrachés, parce que, ces arbres étant des noyers, les paysans avaient fini par remarquer que rien ne poussait à leur ombre. L’observation est, je crois, fondée; il n’en est pas moins regrettable qu’il ne soit pas resté quelques bouquets ou quelques rangées de ces noyers condamnés pour rompre çà et Là la monotonie du paysage. C’est sur le versant qui descend au-dessous de cette terrasse que se tint l’assemblée des chevaliers convoqués par Louis le Jeune pour la plus mal combinée des croisades. Je reconnais sans trop de peine la place où s’élevait l’estrade royale et celle où saint Bernard prêcha cette malencontreuse entreprise, la seule de ses œuvres qui n’ait pas réussi. Elle lui fut cruellement reprochée plus tard par l’opinion de l’époque, et fort injustement, comme il arrive presque toujours pour les actions des grands hommes, car avec la prescience du génie il n’en avait jamais eu bonne opinion, s’était longtemps défendu de la prêcher, et n’avait cédé à la (in que par déférence pour la papauté. Je me demande à la vue de cette place comment cet homme si débile, qui pouvait à peine se tenir debout, et dont l’estomac refusait presque tout aliment, parvenait à se faire entendre dans un lieu qui par sa nature réclame le volume de voix d’un géant, et au milieu de multitudes que leur appareil de guerre rendait nécessairement bruyantes au plus léger frémissement. Pareil phénomène serait à peu près inexplicable, si l’on ne savait qu’il est des grâces particulières pour les hommes d’une grande âme et d’une forte volonté. Un silence presque funèbre remplit seul la solitude de cette campagne, autrefois animée du tapage le plus ardent et traversée par la plus bigarrée des foules.

La ville même n’échappe pas à ce linceul de silence qui recouvre de toutes parts cette grandeur défunte. Il n’en est pas de Vézelay comme d’autres très anciennes cités qui, en perdant leur importance, n’en ont pas moins continué de vivre tant bien que mal, Autun, Cluny par exemple. Ici, la vie a tari d’une manière complète; elle s’est enfuie un certain jour, et n’y a jamais reparu, même sous la plus modeste des formes. Il y a tels endroits de la petite ville où l’on croit parcourir un cimetière, tant ces maisons du XIIe et du XIIIe siècle semblent vous dire : il y a sept cents ans que nos habitans sont morts. Le passé n’est pas triste lorsque la vie n’a pas été interrompue et qu’il se trouve marié au présent; mais Vézelay, c’est le passé sans nul présent, et probablement, hélas! sans aucun avenir, car l’importance tout accidentelle de cette ville tint à l’abbaye, qui en fit un point de jonction entre la Bourgogne et le Nivernais. Une fois l’abbaye détruite, Vézelay redevint ce qu’il était par nature, une simple crête de montagne qui n’avait par elle-même aucune utilité essentielle. Une telle histoire est faite pour suggérer d’assez piquantes réflexions sur la légèreté humaine; combien de fois il ar-