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Au lieu de réformer les abus qui soulevaient les populations, le gouvernement déployait pour les maintenir une impitoyable rigueur. Les moindres contraventions étaient punies de fortes amendes, et, comme les délinquans se trouvaient presque toujours hors d’état de les payer, tous les habitans de la paroisse en étaient rendus solidaires. On avait recours, pour arrêter la contrebande, « à des peines extravagantes et pareilles à celles que l’on inflige pour les plus grands crimes[1]. » Les cahiers des états de 1484 constatent que dans l’espace de quelques années plus de cinq cents faux-sauniers avaient été exécutés rien que dans le Maine, l’Anjou et le pays chartrain. La mort, dans les derniers siècles, fut remplacée par la prison, le fouet, la marque et les galères. Sous Louis XIV, on arrêtait en moyenne chaque année 2,000 hommes, 1,800 femmes, 6,500 enfans. Sur ce nombre, 300 individus de tout âge étaient envoyés aux bagnes pour le reste de leurs jours, et sous Louis XVI on y comptait encore 1,800 forçats exclusivement condamnés pour faux-saunage. Quant aux révoltes, on peut dire qu’elles étaient noyées dans le sang. Les chefs du mouvement de 1548 périrent tous dans d’affreux supplices à Saintes, à Angoulême et à Bordeaux; les paysans des paroisses unies du pays d’Armorique, les bonnets rouges, comme on les appelait, furent décimés, et Mme de Sévigné, qui déraisonne toujours et qui perd la pudeur de la pitié quand il s’agit des vilains, eut la satisfaction, en se rendant à sa terre des Rochers, de les voir pendus aux arbres des routes et des villages, comme elle l’avait souhaité, « pour leur apprendre à parler. »

Cinq siècles d’oppression fiscale avaient amassé dans toutes les classes de la vieille société française des ressentimens profonds contre les gabelles. Les états-généraux de 89 déclarèrent que cet impôt détesté devait disparaître à jamais. Le premier acte des vengeances populaires, dans l’irrésistible mouvement de la révolution, fut de piller les greniers et de brûler les bureaux des gabeleurs. Le sel du roi avait fait son temps comme la royauté capétienne elle-même, et la loi du 10 mai 1790 vint détruire le monopole qui depuis Philippe de Valois avait soulevé « la malgrâce des grands comme

  1. Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XIII, chap. 8.