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Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/222

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REVUE DES DEUX MONDES.

l’ont imaginée semblent avoir tout oublié, tant leurs témoignages sont contradictoires, lis ne s’entendent même plus sur la réalité d’un fait qui, selon nous, est tout simplement celui-ci. À la première nouvelle de la candidature du prince de Hohenzollern au trône d’Espagne, M. le duc de Gramont se rend au conseil des ministres, à Saint-Cloud, porteur d’une note qui doit être lue le même jour au corps législatif, et qui est d’une diplomatie assez modérée, assez correcte pour ne rien compromettre. Aussitôt, autour de cette table de conseil, on s’échauffe à l’envi, on trouve que la note du ministre des affaires étrangères ne répond pas à la situation, qu’elle ne montre pas assez l’épée de la France, et sur-le-champ dans un impromptu, de la meilleure plume qu’on peut trouver, on ajoute une phrase à effet sans se donner même le temps d’en peser les termes et les conséquences. C’est cette note ainsi modifiée que M. de Gramont va lire peu d’instans après au corps législatif, et qui en quelques heures va retentir en Europe. Ainsi, voilà un gouvernement qui en quelques minutes, sans plus de réflexion, improvise une note par laquelle il va se rendre toute retraite presque impossible, qui est par elle-même une véritable déclaration de guerre !

Autre fait. Une fois sur cette pente, tout marche rapidement. Les négociations à coups de télégrammes conduisent à une rupture inévitable. Il faut s’adresser au corps législatif, et une commission se réunit pour examiner la situation, pour proposer les crédits de la guerre. Cette commission interroge le ministre des affaires étrangères, et veut savoir si la négociation avec la Prusse n’aurait pas été compliquée par des exigences nouvelles du gouvernement français. M. de Gramont, sans répondre directement, se borne à lire une série de dépêches. Le président de la commission, M. d’Albuféra, peu édifié sans doute, reprend la question. « Il me semble, dit-il, qu’il résulte de ces dépêches que vous avez demandé toujours la même chose. Nous considérons ce point comme très important. » M. de Gramont ne dit rien « qui puisse démentir ces paroles. » Sur cela, on se tient pour satisfait, et on arrive devant le corps législatif en déclarant qu’on sait tout, qu’on a été mis au courant de tout, qu’il ne reste plus qu’à tirer l’épée. M. Thiers a beau protester et demander un peu de réflexion, les passions soulevées le couvrent d’outrages. Ainsi, voilà une commission parlementaire qui s’associe à la résolution la plus redoutable, qui propose de jeter la France dans la guerre la plus périlleuse sur l’interprétation très incertaine de quelques dépêches lues en courant, sur cette simple assurance : « il me semble que vous avez toujours dit la même chose ! » Décidément il y a des responsabilités pour tout le monde.

Ce qu’il y a de plus curieux, ce qu’il est bien facile de saisir à plus d’un témoignage, c’est que visiblement on marchait à cette effroyable crise sans conviction, sans idée arrêtée, avec plus d’inquiétude que de