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cher à l’heure de la délivrance. Tout à coup on put lire dans le Journal officiel de la république française, à la date du 1er mai 1871, un « rapport de la commission du travail et de l’échange sur la liquidation des monts-de-piété. » C’était le glas funèbre qui sonnait, car un décret conforme était annexé à l’exposé des motifs, qui ne ménageait ni les seigneurs, ni les rois, ni les prêtres. Il fallut discuter alors avec ces hommes prévenus, leur prouver qu’en compromettant le gage du pauvre dans une opération aussi périlleuse qu’une liquidation faite en des temps pareils ils allaient directement à l’inverse de leur but. Si l’on parvint à éviter cette ruine, on le doit peut-être à un pauvre garçon maladivement vaniteux, qui avait cherché dans la politique à outrance le moyen d’utiliser des talens qu’il croyait méconnus. Celui-là fut plus à plaindre peut-être que coupable; un sentiment de respect humain exagéré l’empêcha de sortir d’une voie où il s’était imprudemment engagé, et dont il n’ignorait pas l’issue. Il réagit selon ses forces dans les momens de crise les plus violens, et il sut mourir courageusement pour une cause qui n’était pas la sienne, qu’il avait subie plutôt qu’il ne l’avait acceptée, — je parle de Vermorel.

En attendant qu’on pût procéder à cette liquidation toujours menaçante, la commune, s’inspirant de la tradition de tous les gouvernemens possibles, décréta le dégagement gratuit de tous les articles sur lesquels le mont-de-piété n’avait pas prêté plus de 20 francs. Dans l’origine, il avait même été question de faire rendre à leurs propriétaires les objets déposés en nantissement de 50 francs; cette mesure, qui eût entraîné des conséquences excessives, fut repoussée pour un motif baroque. Un nommé Clément avait fait la proposition de la manière suivante : « considérant qu’il est urgent de mettre à l’épreuve la science financière des membres de la commune, je demande que le chiffre de 20 francs soit porté à 50 francs.» La forme donnée à la motion ayant été jugée impertinente, celle-ci fut rejetée. Le 12 mai, les dégagemens prescrits commencèrent : la commune versait au mont-de-piété un à-compte de 15,000 francs par jour; on allait lentement, si lentement qu’on atteignit le jour de la grande bataille sans avoir été liquidé, sans s’être trop dégarni, et qu’on en fut quitte pour une perte sèche de 188,367 francs; c’était s’en tirer à bon compte.

Ces jours maudits sont passés : le mont-de-piété a repris ses opérations normales; on y emprunte, on y prête, on y engage, on y dégage, on y renouvelle, on y vend tous les jours. Je voudrais pouvoir dire que cette série d’opérations atteint le but cherché dès le principe, et que l’usure n’existe plus à Paris. Je ne crois pas cependant que le mont-de-piété l’ait tuée, pas plus que les jeux pu-