Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/326

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le nantissement qu’elles veulent engager. L’article est envoyé à l’évaluation du commissaire-priseur, et tout se passe comme d’habitude; seulement l’argent est remis de la main à la main, et le nom de l’emprunteur, inscrit sur un carnet spécial, gardé sous clé, n’est jamais connu que du directeur. Les gages sont parfois assez médiocres, et j’ai vu apprécier une robe de soie « secrète » sur laquelle on a prêté 60 francs. Il est difficile de dire à quelle catégorie appartiennent les gens qui agissent ainsi, ou peut le deviner. Toutefois je puis affirmer qu’il n’existe pas une subdivision du monde parisien qui n’ait passé au mont de piété; cela n’a rien de surprenant dans une société où l’envie de paraître est devenue le plus impérieux de tous les besoins. Comme ce genre d’opérations est secret, je n’ai naturellement pas pu m’en procurer le nombre; mais on ne s’éloignera pas beaucoup de la vérité en estimant que, sur un total moyen de 1,200,000 engagemens, ceux dont nous venons de parler comptent à peine pour 4,000.

Le mont-de-piété est responsable de tous les objets qu’il accepte; ils ne lui appartiennent pas, puisqu’il doit les rendre en échange de la somme prêtée; de plus ils sont pour lui le gage de ses avances. On comprend dès lors qu’il les garde avec un soin particulier et s’efforce de les conserver intacts, afin de n’en pas diminuer la valeur. Les magasins sont donc l’objet d’une surveillance spéciale, et l’entrée n’en est permise qu’aux employés indispensables. Ils sont disposés de manière à correspondre aux bureaux d’engagemens, et, comme ceux-ci, sont séparés en deux divisions distinctes : la première pour les bijoux, la seconde pour les paquets. La première division est située au premier étage, où elle s’étend sur trois côtés; une grande salle précède les magasins proprement dits. C’est là qu’on apporte les boîtes scellées et munies du bulletin indicateur, qui est immédiatement transcrit sur un registre dont la couverture varie de couleur selon les années. En effet, pour simplifier les recherches et établir une sorte de classement préalable visible au premier coup d’œil, le mont-de-piété a choisi quatre couleurs qui se succèdent alternativement : le blanc, le rose, le jaune et le vert. L’année 1871 était vouée au jaune; les bulletins, les reconnaissances, les registres, tout, jusqu’à la couverture du rendu-compte administratif, était jaune.

Lorsque l’inscription de l’article engagé a été faite, celui-ci est pris par un garçon de magasin qui pénètre dans le capharnaüm le plus étrange, le plus rempli, le plus méthodiquement rangé que l’on puisse voir. C’est une série de ruelles parallèles les unes aux autres et séparées par des murailles qui sont des casiers; dans ceux-ci, les objets sont disposés selon le numéro d’ordre qu’ils ont reçu au bureau des engagemens. Une ingénieuse précaution évite encore toute