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gent et celui où l’objet est restitué, il s’écoule environ trente-cinq minutes. C’est peu, et pourtant ce laps de temps suffit pour que des articles dégagés ne soient jamais réclamés. Quel oubli subit, quel accident a frappé les dégagistes? On se perd en conjectures, et il y a là une sorte de mystère impénétrable; chaque année, une dizaine d’objets sont abandonnés de la sorte et finissent par être vendus.

Le public qui s’ennuie dans la salle d’attente n’a rien de bien particulier. Les femmes dominent, car les hommes sont à l’atelier; on voit beaucoup d’enfans, quelques commissionnaires, des marchands aux allures ambiguës qui ont acheté des reconnaissances à vil prix, des soldats, et surtout des commères qui jacassent entre elles. L’objet dégagé appartient-il toujours à celui qui l’a engagé? On doit le croire; mais la reconnaissance est un titre au porteur, il suffit de la présenter et de payer pour être mis en possession de l’article désigné. Les personnes qui ne peuvent retirer leur nantissement sont libres de le « renouveler, » au bout d’une année écoulée, en versant les intérêts échus[1]. On ne peut s’imaginer jusqu’où va chez certaines personnes ce qu’on pourrait appeler la manie du renouvellement, manie qui finit par coûter fort cher. Un parapluie a été renouvelé quarante-sept ans de suite; il avait sa célébrité, on en parlait dans l’administration; pendu le long d’un casier, il était du haut en bas revêtu de bulletins qui lui faisaient une carapace d’écaillés en papier. Un membre du conseil de surveillance le vit, en eut commisération, le dégagea et le renvoya au propriétaire légitime, qui se fâcha tout rouge, et déclara qu’il n’entendait pas qu’on se permît de lui faire l’aumône. Le 25 novembre dernier, j’ai vu vendre un rideau de calicot blanc qui avait été engagé le 5 juin 1823; il avait payé d’arrérages et de droits de prisée 35 francs 60 centimes, sept fois sa valeur, car il fut adjugé au prix de 5 francs.

Le mont-de-piété doit réglementairement garder les objets qui ont été acceptés en nantissement pendant treize mois; on va toujours au moins jusqu’à quatorze, et l’on accorde un sursis plus long aux personnes qui le demandent. C’est ordinairement vers le quinzième mois que les objets non retirés sont mis en vente ; mais on a toujours grand soin de prévenir les intéressés par une lettre (non affranchie) qui reproduit le signalement de la reconnaissance, et annonce que le nantissement va être offert aux enchères publiques; on ajoute que dans le cas où il y aurait boni, c’est-à-dire une plus-value sur la somme totale due au mont-de-piété, cet excédant est

  1. Les matelas, oreillers, lits de plume, couvertures de laine et en général les articles sujets à détérioration ne peuvent-être renouvelés.