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possible et sans bénéfice aucun; c’est la seule différence qui existe sous ce rapport entre lui et le marchand ordinaire, et c’est pour arriver à ce meilleur marché que dans les pays libres on a établi des contrôles politiques et financiers. Une fois le prix fixé, il doit être acquitté par tous de la même manière et en raison des avantages dont on jouit; il n’y a pas plus de motifs pour recevoir gratis les services de l’état que pour se faire nourrir et habiller pour rien. Cette immunité a même quelque chose de blessant pour ceux en faveur desquels on l’invoque, elle rappelle trop le panem et circences de la décadence romaine. Dans une démocratie bien ordonnée et où chacun a le sentiment de sa dignité, tout le monde, excepté l’indigent, doit payer l’impôt. De quel droit en effet viendrait-on contrôler les finances de l’état, si on ne subit aucune charge?

Cette exemption absolue des taxes en faveur des classes ouvrières n’est pas encore, il est vrai, admise généralement. On y met des tempéramens ; on voudrait d’abord que les riches payassent un peu plus que leur part proportionnelle. C’est en ces termes qu’Adam Smith, un des maîtres de la science économique, a posé la question. Depuis on est allé beaucoup plus loin : J.-C. Say, par exemple n’a pas craint de dire que l’impôt progressif était le seul équitable; mais dans les termes mêmes d’Adam Smith l’un peu plus n’est pas sans grand danger, — il reste très vague, qui le déterminera? et d’après quelle considération? S’appuiera-t-on sur la possibilité qu’on a de payer les taxes plus ou moins aisément? Il n’y a point de raison alors pour qu’on ne demande pas 90,000 francs d’impôt à la personne qui aura 100,000 livres de rente, en exigeant seulement 100 francs de celle qui n’en aura que 1,000. La première sera encore plus riche après avoir payé les 90,000 francs que la seconde après avoir donné 100 francs. Est-ce là une règle, est-ce une base que l’on puisse adopter pour l’établissement des taxes? Cet un peu plus est la porte ouverte à toutes les exactions, à tous les arbitraires; il varie avec les circonstances selon les formes de gouvernement, et il n’y a pas de moyen plus efficace de détruire la propriété et d’établir le nivellement absolu, c’est-à-dire la misère générale. Du reste, c’est une des formules du socialisme, la plus dangereuse peut-être, parce que sous le couvert d’une fausse philanthropie et à l’aide d’argumens fallacieux elle peut s’introduire tout doucement dans nos lois, sauf à faire plus tard des progrès considérables. Quand M. Louis Blanc au Luxembourg en 1848, dans ses fameuses conférences socialistes, déclarait que le salaire devait être en rapport non pas avec le travail, mais avec les besoins, et que c’étaient ceux-ci qui devaient être la base du principe de l’égalité pour la rétribution de la main-d’œuvre, il ne proclamait pas autre chose que ce que