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veulent les défenseurs de l’impôt progressif; c’est sur l’appréciation des besoins aussi que repose leur théorie.

Il en est de cet impôt comme de toutes les idées décevantes; lorsqu’elles sont présentées par des écrivains habiles et avec des couleurs séduisantes, elles ne laissent pas que de faire impression sur certains esprits. Un des plaidoyers les plus chauds en faveur de cette thèse a été soutenu par un jeune économiste d’un grand talent, que la mort a enlevé prématurément à la science économique, et qu’une plus longue expérience de la vie eût sans doute ramené à d’autres idées. Nous voulons parler de M. Alcide Fouleyraud. Dans un commentaire sur Ricardo, il a défendu ainsi l’impôt progressif : « Il en est de la répartition des charges publiques, dit-il, comme des taxes que les directeurs de concert prélèvent sur la curiosité et le dilettantisme. Le même spectacle est ouvert à tous; le même lustre verse sur la scène ses gerbes de lumière; les mêmes vers, les mêmes harmonies font courir sur tous les fronts le souffle divin du génie; les mêmes décors, les mêmes pirouettes, suivies des mêmes coups de poignard, s’adressent à tous les spectateurs, et cependant, lisez le tarif, que de nuances de prix correspondant à combien de places différentes! Les charges qui pèsent sur chacun sont mathématiquement proportionnées à la dose d’aisance, de commodité dont il jouit, et si nous avions à proposer aux législateurs un modèle pour la péréquation de l’impôt, nous n’en voudrions pas d’autre que cette échelle si habilement graduée par les impresarii. La civilisation n’est-elle pas en effet une fête immense et perpétuelle que le genre humain se donne à lui-même, et ceux-là qui assistent à cette fête du haut de leurs amphithéâtres somptueusement décorés n’en doivent-ils pas défrayer les dépenses plus largement que la foule qui gronde dans l’arène poudreuse du parterre, ou qui s’agite, comme l’Irlandais de nos jours et l’ilote de l’antiquité, sans même entrevoir les splendeurs de ce jubilé? »

Si on va au fond des choses, on trouve que ce raisonnement porte à faux. « C’est le même spectacle, dites-vous, qui est ouvert à tous, et cependant que de nuances de prix correspondant à combien de places différentes! » Que faut-il en conclure? Que chacun doit payer en raison de la commodité dont il jouit? Cela existe déjà avec l’impôt proportionnel; — plus on est riche et plus on paie; mais si vous prétendez que, comme le directeur de spectacle, qui est le maître de sa salle, qui la dispose comme il l’entend et fait payer les places le prix qui lui convient, l’état est également le maître de tous les avantages dont nous jouissons dans la société, et qu’il est libre aussi d’en fixer le prix, alors la comparaison n’a plus