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auquel nous le comparions tout à l’heure. Celui-ci peut, s’il le veut, donner sa marchandise à meilleur marché à celui qui est moins riche, sauf à en élever le prix pour celui qui sera dans une meilleure situation; il fera une détestable opération, mais enfin il n’en doit compte qu’à lui-même, il est toujours libre de se ruiner. L’état, lui, administre la fortune publique, et il doit en être fort économe. Dans toute société bien organisée, il y a un fonds commun destiné aux actes de bienfaisance. Dans les limites de ce fonds, le gouvernement peut secourir ceux qui en ont besoin et les dégrever de certaines taxes qui seraient trop onéreuses pour eux, mais c’est à titre purement gracieux, et il ne doit pas aller au-delà, sous peine de faire du socialisme et de s’ériger en providence chargée de répartir la fortune publique. Il faut donc déclarer hautement que chacun doit la taxe proportionnellement à ce qu’il possède, autrement dit, à ce qui le fait vivre, peu importe la nature de cet avoir, qu’il soit en salaire, en traitement, ou en revenu d’une terre ou d’un capital. L’état protège tout, il doit avoir sa part de tout.

La proportionnalité est non-seulement juste, mais, si on se plaçait exactement au point de vue économique, on la trouverait excessive. En effet, supposez deux individus dont l’un a 1,000 livres de rente et l’autre 100,000; il est bien évident que l’état ne dépense pas cent fois plus en frais de justice, de police et d’administration pour protéger le second que pour garantir le premier, et cependant il fait payer au second cent fois plus d’impôts. Le marchand auquel j’achète 1,000 mètres d’étoffe me les vendra moins cher que si je ne lui en achète qu’un. Le chemin de fer me les transportera également meilleur marché en me faisant bénéficier de ce qu’on appelle le tarif différentiel, qui diminue selon la distance à parcourir et la quantité à transporter. C’est la loi du commerce, et personne ne peut s’en plaindre parce qu’elle repose sur la force des choses. Les frais généraux n’augmentent pas en proportion de l’importance des opérations, et, si on faisait payer dans cette proportion, on commettrait une injustice; tout le monde en souffrirait, cela n’a pas besoin d’être démontré. Que l’état ne se conduise pas d’après cette loi rigoureuse et qu’il ne crée pas une échelle d’impôts décroissante en raison de l’étendue de ses services, on le conçoit; mais qu’on n’aille pas au moins lui demander d’en établir une progressive, ce serait le renversement de toutes les lois. On ferait croire que la société n’est qu’une association de charité et qu’elle n’a rien à démêler avec la justice et l’économie politique.