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II.

« Le prélèvement de la société, dit encore le jeune économiste dont nous combattons les idées, commence là où la consommation des individus franchit les lignes sévères du besoin pour entrer dans le domaine infini et varié des choses d’agrément et de luxe. » Mais où finiront ces lignes sévères du besoin? On ne s’est jamais bien entendu à cet égard ; pour les uns, une chose est une consommation de luxe qui est de première nécessité pour les autres. Adam Smith déclare que de son temps l’usage des souliers n’était pas de première nécessité en France, que beaucoup d’hommes et de femmes paraissaient pieds nus sans s’avilir. Il n’en serait plus de même aujourd’hui. Pour lui aussi, la bière et l’ale étaient des denrées de luxe, a fortiori le thé, le café, le sucre, que beaucoup de personnes considèrent maintenant comme étant de première nécessité. Par conséquent les lignes sévères du besoin varient selon les temps, selon les individus et selon le degré de civilisation. On ne peut pas les déterminer d’une façon assez précise pour en faire la base d’un système d’impôts indépendamment d’autres considérations qui tendraient encore à les faire rejeter.

Pour en revenir à notre comparaison, le chemin de fer ne transporte pas pour rien les choses de première nécessité, et le marchand ne les vend pas sans bénéfice. Pourquoi l’état les affranchirait-il de toute taxe, s’il juge qu’il a besoin d’impôts de consommation ? En ne prenant en considération que l’intérêt des gens peu aisés, il serait plus important pour eux d’obtenir gratis les services du chemin de fer ou ceux du négociant que l’abandon par l’état de quelques centimes d’impôt qui figurent à peine dans le prix des denrées, tandis que les frais de transport et le bénéfice du marchand y entrent pour beaucoup, et cependant personne n’oserait demander ces services gratis. On comprend parfaitement que c’est impossible; mais, dira-t-on, le fisc n’impose pas toutes choses. Pourquoi choisit-il de préférence celles qui sont à l’usage des classes pauvres? Pourquoi ne frappe-t-il pas de préférence les objets de luxe? Il trouverait les mêmes ressources sans imposer les mêmes sacrifices. Nous arrivons ici sur un autre terrain, qui est celui de l’économie politique pure. Il nous faut démontrer qu’en frappant de préférence les objets de première nécessité l’état agit sagement et comme il doit le faire pour la prospérité publique.

Tout le monde est d’accord que, si l’on veut avoir des impôts très productifs et en même temps très modérés, il faut leur donner une large base. S’ils sont modérés, ils ne troublent pas l’équilibre