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— Est-ce que tu vas aller manger sans regarder mes bêtes? demanda Juan. Elles sont gentilles avec leur tuyau jaune, et je veux savoir tout de suite si elles sont pour moi.

Je m’approchai de la table, je pris la loupe, puis, soulevant le petit garçon, je le pressai contre ma poitrine.

— Elles porteront ton nom, m’écriai-je.

— Qui? tes bêtes?

— Embrassez-le, señora, continuai-je en m’adressant à l’heureuse mère; grâce à lui, je puis mourir; l’aspergillum mexicanum est retrouvé, et c’est par la main d’un enfant que sera abaissé l’orgueil du docteur Neidman!

La jeune femme regarda d’un air triomphant son mari, qui souriait; puis ses beaux yeux noirs devinrent humides.

— Tu ne veux jamais me croire, dit-elle, lorsque je te parle de Juan : tu as entendu le docteur; est-il aveugle, lui?

Dieu, le bon dîner! jamais les gâteaux de maïs, vulgairement nommés tamales, ne me parurent si savoureux. Je prédis à doña Esteva que son fils marquerait un jour dans la science, et qu’avant six mois les journaux répéteraient son nom, car la façon dont je venais de retrouver l’aspergillum serait fidèlement relatée dans le nouveau mémoire que je comptais rédiger. Durant le dessert, je me levai deux ou trois fois pour rassasier ma vue du disque convexe, percé de trous, qui a valu son nom à l’aspergillum; je croyais rêver et craignais de voir mes deux charmans mollusques disparaître.

J’employai une partie de la nuit à trier le sable que j’avais rapporté; mes deux spécimens étaient uniques. Le lendemain, je les déposai, dûment enveloppés de coton, dans des tubes de verre que je plaçai à leur tour dans des tubes de fer-blanc. Avant de faire souder ces derniers, je glissai dans chacun d’eux une notice succincte de nature à éclairer les savans, dans le cas où un accident m’empêcherait de terminer mon mémoire.

Je passai encore plusieurs jours à explorer l’huîtrière; ce fut en vain. Néanmoins je ne perdis pas complètement ma peine, car, l’esprit libre de soucis, je fis de bonnes trouvailles, entre autres celle d’une méduse que Blainville croyait particulière à l’Océan indien. Au fond, je n’avais plus qu’un désir, regagner Orizava, écrire mon mémoire et l’envoyer à l’Institut de Boston avec preuves à l’appui.

Je songeais à remonter le Rio-Blanco jusqu’au pied de la Cordillère, pour me rendre de là dans la vallée d’Orizava. Doña Esteva, désolée de me voir partir, combattit mon projet. La petite Lola était souffrante, et sa mère redoutait pour elle la fièvre du climat. D’ailleurs, avant dix jours, toute la famille devait s’embarquer sur une