Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’en régler l’emploi. Et pour remplir cette obligation, naturellement attachée au self-government, il faut que chacun ait la liberté entière de donner à ses facultés et à ses biens l’emploi le plus utile; sinon, il ne pourra s’acquitter complètement de ses obligations, et sa condition deviendra difficile et précaire. Que si on lui enlève une portion de liberté pour l’ajouter à celle d’un ou de plusieurs individus par la création d’un monopole ou d’un privilège, la condition du bénéficiaire de ce monopole ou de ce privilège se trouvera du même coup facilitée et assurée. On aura ainsi créé une injustifiable inégalité et suscité entre les membres d’un même état des germes d’antagonisme qui grandiront tôt ou tard. On aura de plus entravé le développement général de la société en frappant d’une paralysie partielle les facultés productives du grand nombre sans augmenter en compensation l’activité des privilégiés : l’expérience montre au contraire qu’ils ralentissent d’autant plus leurs efforts qu’ils ont moins à redouter la concurrence. Il faut donc que le gouvernement s’applique à garantir à chacun le libre usage de ses facultés et de ses biens, s’il veut faire régner dans la société cette bonne entente qui ne peut se fonder que sur la justice, s’il veut encore y provoquer le déploiement utile de toutes les forces physiques et morales à l’aide desquelles se crée la richesse publique et se fonde la puissance d’un état.

Les libertés du travail, du commerce, de l’enseignement, des cultes, concourent par des voies diverses à ce résultat final. On peut en dire autant des libertés politiques, qui permettent à tous les membres de la nation de participer à la gestion des affaires publiques ou tout au moins de la contrôler. Quand elles font défaut, quand le gouvernement est le monopole d’une classe, ce monopole excite la légitime jalousie des autres, et de plus il limite le choix des hommes capables de prendre part à la direction des affaires communes; quand à ce monopole se joignent, comme il arrive presque toujours, des restrictions à la liberté d’examiner et de contrôler les actes des gouvernans, les rouages de la machine gouvernementale ne tardent guère à se rouiller, faute de surveillance; elle se détraque, elle s’effondre, et ce n’est trop souvent qu’après de longs efforts, d’immenses sacrifices et de cruelles souffrances que l’on parvient à la reconstituer. Voilà donc tout un faisceau de libertés dont les gouvernés et le gouvernement lui-même ne peuvent se passer longtemps, et qui ont été qualifiées à bon droit de « libertés nécessaires. » Il convient d’ajouter que ce caractère de nécessité devient plus prononcé à mesure que la concurrence internationale oblige les peuples à déployer plus d’activité pour se maintenir à leur rang. Une nation pouvait s’endormir autrefois dans les limites