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Nous n’avons pas à faire ressortir ici les avantages de cette organisation nouvelle de la production ; on sait à quel point elle a contribué à multiplier la richesse ; mais cet organisme économique, si puissant et si complexe, est en même temps d’une sensibilité extrême, comme toute machine perfectionnée. Il suffit de la rupture d’un rail pour faire dévier une locomotive et broyer un convoi, tandis qu’une lourde et grossière charrette peut cheminer sans encombre dans les ornières d’une route négligée. Il suffit non pas même d’une perturbation, mais de la seule crainte d’une perturbation dans le milieu où fonctionne le mécanisme délicat du crédit et des échanges pour frapper de paralysie cet appareil vital, qui fournit à chacun ses moyens d’existence. Qu’une guerre menace ou, pis encore, une révolution intérieure, et voici que les capitaux cessent à l’instant de se prêter ou ne se prêtent plus qu’avec la surcharge d’une prime destinée à couvrir ce risque ou cette appréhension d’un risque, voici que les entreprises existantes, — et elles se comptent par centaines de mille, — sont obligées d’arrêter ou de restreindre leur production, voici que les entreprises en projet ou en voie de formation sont ajournées jusqu’après la crise. Il en résulte que tous ceux qui contribuent à créer, à entretenir et à mettre en œuvre l’immense et multiple appareil de la production et de l’échange, propriétaires, capitalistes, industriels, négocians, ouvriers, se trouvent atteints ou menacés dans leurs moyens d’existence, restreignent leur consommation, et que tous les débouchés se resserrent, soit directement, soit par répercussion, à commencer par ceux des industries ou des arts qui fournissent les articles de luxe ou de nécessité secondaire. N’a-t-on pas constaté par exemple que la révolution de février 1848 avait abaissé en une seule année la production de l’industrie parisienne de 1,463 millions à 767? N’en faut-il pas conclure que le besoin de sécurité s’est accru, et que cette entreprise supérieure qui s’appelle un gouvernement, et dont la fonction essentielle consiste à produire de la sécurité, doit développer et perfectionner sa production dans la mesure du développement et du progrès de toutes les autres branches de l’activité humaine ?

Est-ce tout ? La sécurité est-elle le seul bien nécessaire qu’une nation attende de son gouvernement, et qu’il ait l’obligation de lui procurer ? Non ! il faut y joindre la liberté, et ici encore les garanties qui pouvaient suffire dans les anciennes sociétés sont devenues insuffisantes pour les nôtres. Dans le milieu social que nous a fait la civilisation accumulée de tant de siècles, l’individu s’appartient presque complètement, il est le maître de sa destinée, mais c’est à la charge de se procurer lui-même des moyens d’existence et