Page:Revue des Deux Mondes - 1873 - tome 103.djvu/527

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un voyage d’émigration entrepris aux frais de l’état. Aussi des hommes éminens, tels que Bentham, Romilly, Abercromby, Wilberforce, l’archevêque Whately, frappés des désordres qu’entraînait la transportation dans les colonies et de l’accroissement des crimes en Angleterre, n’hésitèrent pas à demander l’abolition du régime tout entier. En 1837, un comité de la chambre des communes, présidé par sir W. Molesworth, et dont faisaient partie Robert Peel et lord J. Russell, conclut à l’abandon immédiat du système de la transportation, en déclarant qu’il contribuait à augmenter le nombre des crimes, qu’il était plus dispendieux qu’aucun autre système, et qu’enfin il était une injustice à l’égard des colonies australiennes.

Il ne faut voir dans ces conclusions radicales qu’une réaction trop brusque et en somme peu équitable contre la transportation ; on était trop disposé à rapporter au système tous les abus qu’une politique plus éclairée ou plus habile aurait sans doute évités. En tout cas, le gouvernement anglais n’était guère préparé à la révolution que demandait le comité de la chambre des communes. On renonça seulement à envoyer des condamnés à la Nouvelle-Galles du sud, et on résolut de répartir tous les transportés entre l’île de Van-Diemen, au sud du continent australien, et la petite île de Norfolk. En outre on combina une série d’épreuves que les condamnés devaient traverser avant de pouvoir s’engager au service des cultivateurs. Les malfaiteurs les plus dangereux seraient envoyés d’abord à Norfolk ; en cas de bonne conduite, ils passeraient ensuite dans l’île de Van-Diemen, où seraient conduits directement les moins coupables. Réunis dans de grands chantiers, tous les condamnés non libérés seraient assujettis à des travaux publics en plein air. La transportation deviendrait ainsi, on l’espérait du moins, un vrai châtiment.

Le gouvernement ne sut pas prévoir à quels excès pourrait se porter une population de plusieurs milliers de malfaiteurs entassés dans un petit espace sous la conduite de gardiens tout occupés de veiller à leur propre sécurité et bientôt atteints eux-mêmes par la contagion. Les prisons manquaient pour recevoir les condamnés, ce qui n’empêcha pas l’Angleterre d’envoyer à Van-Diemen, de 1840 à 1845, 17,000 transportés. Les scènes horribles qui eurent lieu dans cette île et dans celle de Norfolk ne peuvent être décrites. « Je ne veux pas, disait en 1847 lord Grey devant la chambre des lords, je ne veux pas soulever votre dégoût en entrant dans des détails monstrueux. Le système a été effroyable, et c’est une honte qu’un tel système ait pu exister sous le pavillon anglais. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que la dépense a été très élevée, si élevée qu’elle eût suffi pour assurer en Angleterre même la punition