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d’un fait né de la complète ? N’est-il pas vrai qu’elle se rapproche de la justice ? N’est-il pas vrai que les argumens, d’ailleurs peu nouveaux, auxquels on semble adhérer, perdent de leur force au lieu d’en gagner ? Pour clore ces remarques, n’est-il pas vrai de dire aussi que le caractère de la propriété comme condition permanente de l’ordre et de la prospérité des sociétés modernes semble acquérir encore plus de relief, et s’impose à ceux qui, comme l’auteur de la Vie de Proudhon, repoussent l’idée du droit naturel ? L’éminent écrivain déclarait un jour devant le sénat qu’en fait de philosophie et de morale « Bentham lui suffisait. » Bentham, c’est-à-dire pour l’individu l’intérêt bien entendu, pour la société l’utilité générale. C’est précisément au nom de l’intérêt général que s’est élevé le célèbre publiciste anglais pour établir les avantages de la propriété, non-seulement pour ceux qui la détiennent, sauf à la rendre le lendemain à la circulation, mais pour le grand nombre par l’augmentation de la quantité des produits. La propriété est le ressort que rien ne remplace. Détendre ce ressort, c’est donner le coup de mort à la prospérité publique. C’est l’énerver singulièrement que de changer la propriété en simple possession, comme Proudhon semble l’avoir voulu. Le nombre de ceux qui ont personnellement intérêt à la propriété s’est accru et s’accroît encore. On ne saurait dire ce que la société doit aux efforts incessans qu’elle sollicite et obtient d’une telle masse laborieuse qui se la propose comme perspective ou qui la trouve comme auxiliaire. Ce qu’on nomme aujourd’hui le collectivisme, fût-il autre chose que la plus odieuse des confiscations, n’aurait-il pas pour effet immédiat d’affaiblir de la manière la plus dommageable ces féconds et indispensables mobiles ? Plus la propriété s’est individualisée, plus aussi on a vu que ce n’est pas d’une manière seulement passagère, qu’il faut en chercher la raison d’être dans la nature humaine, dans ses instincts, dans sa liberté, dans son besoin de stimulant pour se déterminer à l’action.

A quelle autre idée de Proudhon faudra-t-il promettre l’avenir ? Sera-ce à l’association ? M. Sainte-Beuve l’affirme. « L’idée pratique, dit-il, était et elle est dans l’association ouvrière, telle qu’il la concevait et qu’il la définissait, dans cette combinaison d’économie industrielle, démontrée, retournée en tout sens, prêchée sur les toits. » Il n’y a point lieu de faire honneur à M. Proudhon de l’idée de l’association, idée qu’entourent d’ailleurs tant de difficultés dans la pratique lorsqu’elle s’applique à la production. Elle avait été préconisée par les économistes les plus orthodoxes, notamment par M. Rossi ; toutes les écoles socialistes l’avaient mise en avant. Quant à la forme spéciale que M. Proudhon donnait à l’association ouvrière, elle nous paraît au contraire fort mal définie. Elle est