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celle du sol même que le prix de la protection sociale. Il est bien temps que la question sorte du domaine des apparences et de la déclamation. On comprendra alors que les premiers qui occupent le sol et le cultivent à leurs risques et périls méritent plutôt d’être bénis, ou, pour parler un langage plus réel et plus positif, excitas par des primes que découragés par les anathèmes assez mal venus des Rousseau et des Proudhon. Serviteurs de l’humanité, à leur insu peut-être, ils mettent en valeur un instrument ingrat et rebelle, ils en augmentent la puissance productrice, ils le créent en très grande partie. Les peines, les frais d’entretien qu’exige ensuite cet instrument, dont la fertilité naturelle n’est presque rien à côté de la fertilité acquise, ne se renouvellent-ils pas incessamment en pleine civilisation ? La terre n’est-elle pas pour ainsi dire rachetée indéfiniment par ce qu’elle coûte ? Pourquoi faut-il être forcé de rappeler de telles vérités, et non-seulement de les rappeler, mais de les défendre ? — Il n’importe que Proudhon ait surtout attaqué comme injuste cette part de la rente du sol donnée, selon la plupart des économistes, à titre gratuit, c’est-à-dire sans correspondance exacte avec la quantité du travail et du capital engagé ! Il ne voulait pas admettre que la fertilité extraordinaire d’un sol pût constituer une prime à son détenteur, pas plus qu’il n’admettait que le talent, à égalité de travail, pût conférer un avantage quelconque à l’heureux possesseur de facultés exceptionnelles. C’est là particulièrement ce qu’il appelait un vol, et c’est là-dessus que des esprits sages, éminens, en condamnant le mot comme excessif et brutal, lui donnent gain de cause quant au fond de l’idée ! Un vol de ce qui n’a pas de valeur et de ce qui n’appartient à personne ! De quel droit appeler spoliation ce qui a été un service rendu à la masse, aux générations à venir, qui eussent trouvé la terre dans ce misérable état, si admirablement décrit par Buffon, non défrichée, non cultivée, sans routes ?

L’idée que l’avenir, un avenir assez prochain, assure-t-on, fera sa part à ces idées de Proudhon sur la propriété nous paraît de tout point inacceptable ; elle est combattue par la marche même que suit la société moderne. Le moment était après tout mal choisi de venir contester que la propriété trouvât un de ses fondemens les plus habituels dans le travail et dans l’épargne, alors que la propriété rurale, divisée entre des millions de mains, en est la preuve palpable, alors que le capital mobilier, indéfiniment partagé en actions, titres de rente, etc., fournit la preuve évidente du même fait. Établissez la part de la spéculation, qui est loin au reste d’être un ressort inutile, faites celle des moyens d’acquisition condamnables ; faut-il pour cela continuer à parler de la propriété comme