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voir par une désignation universelle, il a été choisi entre tous précisément parce qu’il était M. Thiers, parce qu’on comptait sur ces qualités personnelles, qui font sa supériorité, sur son expérience comme sur son patriotisme, sur ses lumières comme sur son dévoûment. On ne lui a pas imposé alors des restrictions, on pensait bien au contraire qu’il ne se ménagerait pas, qu’il serait le premier sur la brèche. Et ces talens qui ont captivé la France, qui ont inspiré toute confiance au pays, on interdirait aujourd’hui à M. Thiers de s’en servir, comme on enlèverait à un soldat ses meilleures armes ! on viendrait lui dire qu’il ne comparaîtra devant la chambre que d’une certaine manière, en cérémonie, qu’on ne délibérera pas en sa présence, qu’il ne pourra parler sur la politique intérieure que si un ministre le demande et si l’assemblée veut bien y consentir ! Y a-t-on bien réfléchi ? Et si l’assemblée ne consent pas à entendre M. le président de la république, comment se passeront les choses ? Et si, après que le chef du pouvoir exécutif aura quitté la chambre, il se produit dans la délibération de nouveaux discours qui nécessitent une réponse, faudra-t-il encore procéder par un message, revenir avec le même cérémonial, pour se retirer et jouer ainsi aux propos interrompus ? Tout cela, on en conviendra, est un tissu d’étranges combinaisons.

Eh bien ! soit, M. Thiers a tout accepté, tout subi, nous le supposons un instant. Il ne paraîtra pas du tout à la chambre, il ne troublera plus personne par le prestige de sa parole, on aura toute liberté. Les affaires en marcheront-elles mieux ? Les discussions seront-elles plus profitables parce qu’elles ne seront plus éclairées par cette lumineuse éloquence ? On a aujourd’hui justement un exemple sous les yeux. L’année dernière, on a discuté et voté des lois sur l’élection des maires, sur la décentralisation. M. Thiers ne partageait point assurément les idées qui prévalurent alors. Il s’abstint cependant, il ne pesa pas sur la discussion, ou du moins il ne parut à la chambre qu’une fois pour demander que la passion décentralisatrice n’allât pas jusqu’à enlever au gouvernement le droit de nommer les maires dans les villes d’une certaine importance. Qu’arrive-t-il aujourd’hui ? Les événemens ont marché, l’expérience s’est faite, elle est assez triste. Tout récemment, une commission parlementaire s’est occupée de ces questions, et on paraît déjà faire de singulières réflexions sur les conséquences des lois de l’an passé, sur l’anarchie administrative qu’elles ont développée. Lorsqu’on se laisse troubler par la passion politique, on accuse volontiers le gouvernement d’être l’auteur du mal, d’avoir de mauvais préfets, de ne pas sévir contre les municipalités qui s’écartent de leurs devoirs. C’est bien facile à dire. En bonne conscience, que peut le gouvernement dans les conditions qu’on lui a faites ? Quant au mal lui-même, il est certainement criant. Le ministre de l’intérieur, M. de Goulard, n’a rien caché ;