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il l’a dit nettement : « Les liens qui attachent les municipalités au pouvoir central tendent à se dénouer tous les jours par l’apathie, par l’inaction. Les maires ne se mettent plus en rapport avec l’autorité supérieure, ne répondent plus aux lettres des préfets, des sous-préfets… » Toujours est-il qu’il faudra revenir dans une certaine mesure sur ce qu’on a fait, si on ne veut pas laisser l’anarchie s’étendre et envahir l’administration française. Franchement, croit-on que les lois discutées et votées l’an dernier eussent été moins bonnes, que l’intérêt public eût souffert, si M. Thiers était allé défendre ses opinions avec cette vivacité, avec cet éclat de parole et même, si l’on veut, avec cette passion dont on redoute tant l’influence ? Sa prévoyance modératrice eût peut-être épargné à l’assemblée la peine de se trouver aujourd’hui dans cette situation où l’on semble chercher un moyen de réparer le mal sans paraître trop se désavouer.

On croit sans doute se tirer d’affaire par un mot, en représentant les interventions de M. Thiers comme un acte de pouvoir personnel, comme un abus d’influence par le talent, et en se piquant d’opposer à cette dictature de l’éloquence ce qu’on appelle les règles, les traditions du régime parlementaire. C’est l’erreur la plus dangereuse ou la plus singulière des illusions. Il faut tenir compte des situations et des circonstances. On n’est point du tout parlementaire aujourd’hui parce qu’on veut appliquer la responsabilité ministérielle d’une certaine façon et faire du chef de l’état un être inerte, suspect et asservi. Ce que la commission des trente cherche péniblement, ce qu’elle travaille à organiser, c’est quelque chose qui consacre, qui maintienne dans sa plénitude l’omnipotence, la dictature de l’assemblée. Elle ne le croit pas, elle s’en défend, elle ne revient pas moins tout simplement dans un autre sens et avec d’autres pensées aux traditions de la convention, et c’est ici que la commission des trente, sans y songer, tombe dans le piège de ses propres contradictions. On semble oublier que le régime parlementaire, le plus beau des systèmes politiques, est un système bien plus complexe, reposant sur une répartition de prérogatives, sur une pondération de pouvoirs indépendans, de telle façon que l’opinion finisse par se dégager, par avoir le dernier mot, sans se manifester néanmoins par la prépotence directe et exclusive d’une chambre.

La commission des trente pouvait s’acheminer vers ce but, elle n’avait qu’à entrer dans la voie qu’on lui ouvrait, et à créer quelques institutions organiques fixant le rôle et les attributions des pouvoirs, replaçant le gouvernement dans ses vraies conditions d’indépendance et de responsabilité ; mais non, ce n’est point là ce qu’on a voulu, et à quoi est-on arrivé ? On tient à ce que M. Thiers soit moins un vrai chef de gouvernement que le mandataire, le délégué de l’assemblée, M. Amédée Lefèvre Pontalis l’a dit en propres termes, et ce mandataire ne pourra